Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/601

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

belles provinces de l’Europe ; mais sa position était difficile. La fièvre révolutionnaire était partout ; l’esprit d’aventure et les passions belliqueuses se réveillaient, se combinaient avec elle en France, où des modifications plus profondes aux traités de 1815 ne tarderaient sans doute pas à être réclamées. Il fallait s’unir à nous pour imposer à l’Europe l’effraction limitée du pacte européen qu’entraînait l’établissement d’une Belgique indépendante. Il fallait s’unir aux grandes cours rivales contre nous pour nous maintenir dans le respect de ces mêmes traités quant à tout ce qu’ils stipulaient à notre préjudice. Il fallait, en face des critiques constantes et des sinistres prédictions du parti conservateur, garantir l’Angleterre contre tout profit résultant de sa politique nouvelle pour le compte de la France au-delà des avantages de la substitution, sur notre frontière septentrionale, d’un état bienveillant et neutralisé à une puissance fatalement hostile.

Avec quelle légèreté ce bienfait, dû à la fermeté, à la constance de la monarchie de juillet, qui n’avait pas craint dès l’abord de jeter son épée dans la balance encore incertaine, fut accueilli dans des temps plus heureux ! Notre génération devait apprendre ce qu’il en coûte de défendre, dans les mauvais jours, une frontière habilement restreinte ; qu’eût-ce été s’il eût fallu protéger la ligne entière qui s’étend de la Suisse à l’Océan ! Telle fut l’œuvre salutaire de notre diplomatie durant les premières années d’un règne que l’on accusait jadis d’un souci trop médiocre pour nos intérêts au dehors. — Hélas ! qui nous rendra la France du roi Louis-Philippe telle qu’il sut si bien la maintenir et la garantir ? Peu de publications récentes ont offert l’intérêt que présentent les dépêches et les lettres de lord Palmerston sur cette laborieuse négociation de sept ans que son biographe a livrées au public. La pensée la plus secrète de la cour de Londres et de ses alliés s’y révèle tout entière, et si la clarté et la fermeté de vues de lord Palmerston s’y manifestent fréquemment, les défauts déjà signalés de son tempérament diplomatique n’y sont pas moins apparens. On se trompe tout autant dans les grandes affaires par une méfiance excessive que par une confiance imprudente, et il est singulier de voir combien peu l’esprit de lord Palmerston, généralement sagace, était à l’abri de cette dangereuse erreur. On croit rêver quand on voit le roi Louis-Philippe et ses principaux ministres de cette époque accusés chaque jour de vouloir, par leur ambition effrénée ou leurs menées souterraines, mettre en péril la paix européenne, qu’ils ont maintenue au prix de tant d’efforts. Les expressions, bien entendu, ne sont point ménagées. « Soult est un bijou » (Soult is a jewel) quand les vues de l’illustre maréchal concordent avec celles du ministre de