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nouvelles, et aussi quelle étrange ignorance, pour un esprit aussi sagace, des dispositions réelles qui dominaient à Paris !

« Foreign office, 23 août 1831, onze heures du soir.


« Mon cher Granville, jamais tâche ne fut plus difficile que celle qui nous est imposée, de faire sortir les Français de la Belgique. Les Français veulent y rester. Les Prussiens n’ont encore aucune vue arrêtée : ils sont toujours animés d’une pensée secrète, que, si les Français restent, la guerre s’ensuivra, le partage en résultera, et qu’ils arriveront eux-mêmes pour leur part. L’Autriche est la plus rapprochée de nous par ses sentimens ; mais elle n’a aucun intérêt particulier à poursuivre dans la question. La Russie, qui, si je ne me trompe, en savait plus sur l’irruption du roi hollandais qu’il ne lui convient d’avouer, est toujours prête à lancer les gros mots et à tenir un langage hautain envers tout le monde, elle ne serait pas fâchée de nous voir tous aux prises les uns contre les autres. Les Hollandais (ici du moins) affectent de souhaiter que les Français restent, prétendant que le désir de s’en débarrasser rendra les Belges plus accommodans, et les Belges disent qu’ils ont besoin de leur protection, tandis que l’armée belge se réorganise, et jusqu’à ce que la Hollande ait consenti à un armistice… J’ai eu hier une longue conversation avec Talleyrand… »


Telles étaient les difficultés, telles étaient les embûches à travers lesquelles, grâce surtout à la sagesse et à la fermeté du roi Louis-Philippe, le grand résultat put être pacifiquement assuré, la sécurité de notre frontière septentrionale garantie par l’Europe, six des forteresses-barrières démolies, et un des états les plus libres, les plus heureux, les plus exemplaires du monde définitivement constitué. Tout en exagérant, comme d’habitude, la part réelle qu’il lui fut donné d’y prendre, les amis de lord Palmerston ne rendent en la signalant qu’un hommage mérité à sa mémoire.

Nous avons parlé de la sagacité et de la justesse d’appréciation politique qui distinguaient habituellement lord Palmerston. Ces rares qualités éclatent fréquemment dans la publication de lord Dalling. N’oublions pas que les tristes emportemens que nous avons dû rappeler faisaient surtout explosion dans les rapports personnels ; quant aux questions elles-mêmes, et surtout quant aux situations générales, il les jugeait et les préjugeait le plus souvent avec sang-froid, avec perspicacité, avec une ténacité de vues singulière. Les générations nouvelles, ne voyant que des faits depuis longtemps accomplis, ne sauraient croire quelles résistances le ministre libéral a dû combattre et surmonter chez ses compatriotes et