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fermement gardée en main. Elle voulait d’ailleurs ménager le futur couronnement de son fils comme empereur à Rome, et le concours d’Hildebrand lui était nécessaire pour compléter la transmission des couronnes que Henri III avait si noblement portées. Jusqu’à ce couronnement, son fils n’était que roi de Germanie et roi d’Italie. Elle crut avoir captivé Hildebrand, qui crut à son tour avoir captivé l’impératrice, tous deux ayant besoin l’un de l’autre pour arriver à leurs fins diverses. Agnès se hâta même de renvoyer Hildebrand en Italie, dès qu’elle apprit la mort du pape Etienne et la nomination frauduleuse de son prétendu successeur par la faction éternelle de Tusculum. Le très érudit Saint-Marc[1], qui a si profondément traité l’histoire de la querelle des investitures, et M. Villemain après lui, travaillant sur les mêmes documens, ont très bien déroulé, chacun avec le caractère qui le distingue et avec des nuances diverses, le fil de cette négociation particulière d’où sortit l’élection de Nicolas II, qu’Hildebrand obtint encore, par le bénéfice des circonstances, du suffrage direct de la saine partie du peuple et du clergé romain (1059), soutenus spécialement en cette occurrence par l’intervention du redouté Godefroi le Barbu, jaloux de sceller du sceau de ses armes sa réconciliation avec la cour de Germanie, et nourrissant peut-être sous le masque du dévoûment quelque ambitieux dessein exploité par Hildebrand. Ce dernier présida la cérémonie de la consécration pontificale, où pour la première fois, dit-on, une double couronne fut posée sur la tête de l’élu, l’une portant inscrits ces mots : corona de manu Dei, l’autre portant ces mots : diadema imperii de manu Pétri.

Hildebrand avait fait en apparence les affaires de l’empire, qui par son adhésion sembla diriger encore la nomination papale ; en réalité, Hildebrand n’avait fait que les affaires de la papauté, en consacrant par une nouvelle application la reprise de l’élection directe, en obtenant, pour occuper le saint-siège, un pape dont il était sûr, et qui ne marchanderait pas son concours à la grande œuvre de la réforme, enfin en donnant à la papauté en Italie un appui militaire autre que celui des Allemands ; mais cette élection, tout heureuse qu’il la croyait, n’avait été emportée que par un habile tour de main, et par une sorte d’expédient politique. Hildebrand et Nicolas II se hâtèrent d’assurer pour l’avenir l’indépendance de l’élection romaine en la purgeant de la turbulence compromettante du suffrage universel. Par lui, Hildebrand avait obtenu

  1. Voyez le tome III de son Abrégé chronologique de l’histoire d’Italie, p. 262. C’est un livre illisible que ce prétendu Abrégé ; mais je ne connais pas de plus savant livre d’histoire au XVIIIe siècle, et les bénédictins l’avaient apprécié à sa valeur. Voyez le tome III de l’Art de vérifier les dates.