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l’opinion, c’était celle de la rénovation morale de l’église, de la révolution politique de son gouvernement, c’était une révolution sociale tout entière. Légalement accomplie, il lui restait la difficulté pratique, et sur ce point la lutte allait se produire avec tous les caractères des habitudes contemporaines, Plans et moyens devaient se ressentir du conflit passionné des intérêts humains et des dispositions de l’esprit au moyen âge, Si plus tard on put au concile de Trente, si de nos jours, au XIXe siècle, on peut discuter avec calme sur la controverse du célibat des prêtres, il n’était pas permis de le faire impunément au XIe siècle. Vainement les prêtres mariés invoquèrent des traditions de la primitive église. La corruption d’autres prêtres compromit la question pure du mariage, qui fut taxée d’hérésie détestable et poursuivie sans miséricorde comme telle, avec l’inexorable logique de l’époque et la conscience inébranlable de la foi. La lutte tourna même bientôt à la forme de parti, religieux et politique à la fois, et, arrivée à cette condition ; l’ardeur passionnée des adversaires ne respecta plus aucune limite. Mais n’anticipons pas sur cette triste phase de la querelle du sacerdoce et de l’empire.

On se demande naturellement si la cour de Germanie a dû rester silencieuse devant cette prise de possession d’indépendance qu’assurait à la papauté le décret de Nicolas II. Hildebrand avait pu se convaincre par ses observations personnelles et par les informations qu’il avait recueillies pendant ses deux derniers voyages d’Allemagne de l’état des esprits en ce pays et de la situation difficile, non soupçonnée en Italie, de la royauté franconienne. Il ne s’y était pas trompé. La mort de Henri III avait jeté le désarroi dans le gouvernement de l’empire. Une femme spirituelle et digne de respect, mais inexpérimentée et jeune encore, étrangère enfin, parlant à peine la langue du pays, se trouvait en face de complications inextricables : une aristocratie puissante, revêche, avide, séditieuse, ingouvernable, sinon par l’autorité des populations divergentes d’intérêt, indociles, soumises à des influences suspectes, au nord et au sud de l’Allemagne ; une armée de moines entre les mains desquels était la force morale du pays, et complètement soumise aux lois et à l’impulsion d’un pouvoir étranger ; un corps épiscopal riche et princier, uni sans doute d’intérêt avec l’empire, mais profondément imprégné d’institutions féodales par la possession d’immenses territoires et par la condition personnelle des évêques, et flottant, par suite d’une situation équivoque, entre le respect de l’empire, l’autorité de l’église et les entraînemens féodaux ; telle était la situation compromise de l’impératrice Agnès et de son gouvernement. C’était pourtant dans le corps épiscopal que Henri III et