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d’Hildebrand, avait peine à tenir le timon des affaires. La papauté résista cependant à l’orage.

L’Allemagne n’était pas moins agitée. Le jeune roi Henri était un enfant qui donnait de grandes espérances aux uns et de grandes craintes aux autres. La nature l’avait bien traité sous tous les rapports ; elle lui avait donné, avec un corps sain et vigoureux, de belles dispositions d’esprit. Il y avait en lui beaucoup du génie de son père, mais un sort cruel et fatal le poursuivit depuis l’enfance jusqu’au tombeau. L’amour maternel s’était montré indulgent pour ses caprices d’enfant, et les calculs des courtisans favorisèrent ses volontés mal dirigées. Lorsqu’il revint de son douloureux étourdissement après l’enlèvement de Saint-Suibert, il se trouva dans un monde qui lui était étranger et qui lui parut hostile. Il pénétrait à peine le fond des choses, et, ne pouvant deviner le but final de la cruauté exercée envers lui, sa jeune âme en était déchirée. Elle flottait entre la méfiance et le soupçon, l’entêtement et la dissimulation, l’indifférence pour l’opinion du monde et le mépris des hommes. Les germes de religion et de moralité que la nature et la première éducation avaient développés en son cœur furent broyés, presque étouffés. Quel sentiment pouvait-il avoir pour l’archevêque Annon, réputé saint pourtant aux yeux du grand nombre ? Il paraît qu’après de premières et inutiles caresses l’enfant royal fut traité avec une sévérité tout aussi inutile pour le plier au joug d’une direction nouvelle. Le crime vulgaire et presque sauvage dont il avait été victime ne pouvait sortir de sa mémoire ; il n’y songeait qu’avec effroi, et les princes de l’empire eux-mêmes qui l’avaient exécuté se trouvèrent bientôt en face de grands embarras. Ce qui avait paru facile tant qu’on était resté au projet fut reconnu difficile après le succès, à savoir l’administration de l’empire et le contentement de chacun. Aucun prince ecclésiastique ou laïque, aucun vassal puissant ou faible, ne se montra disposé non-seulement à l’obéissance, mais encore au moindre sacrifice dans l’intérêt général de l’empire ou de la royauté. Nul ne voulut reconnaître l’autorité d’une régence conquise si violemment. Toute situation devint précaire ou équivoque, et chacun chercha ses avantages ou sa sûreté dans la ruse, l’artifice et la menace. Il n’existait plus, à vrai dire, de police publique, témoin la scène atroce des vêpres de Goslar, où bataille fut livrée dans l’église sous les yeux du jeune roi, entre deux dignitaires ecclésiastiques soutenus par leurs suppôts. De l’Eyder aux Alpes, de la Meuse à l’Oder, le pays fut en proie à la discorde, aux guerres privées, à la violence.

Le jeune roi avait été ramené à Goslar, ou s’établit un centre de gouvernement. Annon de Cologne et le duc Otton de Nordheim