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s’en posèrent les chefs. Une cour était rétablie pour le jeune prince, et Adalbert, archevêque de Brème, fut spécialement préposé à son éducation. La raideur étroite de l’archevêque de Cologne[1] était déjà une calamité pour la royauté franconienne, bien qu’il fût Saxon et qu’il eût des liens avec la ville de Goslar, où tout l’esprit de la Saxe semblait concentré[2] ; mais le choix d’Adalbert était plus déplorable encore. On peut voir dans Fleury de quelle manière ce prélat traitait les affaires de l’église[3] en général ; il traita celle de l’éducation du prince d’une manière plus singulière, et obtint sur son esprit une influence de suspecte origine et de funeste conséquence. Annon avait au moins pour lui la pureté des mœurs ; la vie privée d’Adalbert était assez compromise, ce qui n’empêcha pas la cour de Rome de lui conférer le titre de légat dans les pays septentrionaux. Il était dévoué au pape, et malgré cela les chroniques monastiques lui sont hostiles[4]. Pour capter l’affection de son royal élève, Adalbert ne trouva rien de mieux que de lâcher la bride à ses passions et d’en favoriser même les écarts. Un autre archevêque, celui de Mayence, partage sa responsabilité devant l’histoire à propos de cette éducation princière. C’était Sigefroi d’Eppenstein, abbé de Fulde avant d’être évêque, issu d’une grande famille de Wettéravie dont l’archevêché de Mayence semble avoir été le patrimoine. Le gouvernement de la personne du roi et des choses de l’empire était donc entre les mains des évêques ; educatio régis atque ordinatio omnium rerum publicarum penes episcopos erat, dit Lambert d’Aschaffenbourg[5]. Ils avaient livré les confidences et la familiarité de l’enfant à un jeune chevalier, Werner, parent de l’évêque de ce nom à Strasbourg, pernicieux ami dont l’influence et le crédit valurent bientôt au prince la haine du peuple et à lui le mépris universel. Adalbert et le comte Werner disposaient de tout à la cour au grand scandale des honnêtes gens. Hi duo pro rege imperitabant, dit Lambert ; ab his episcopatus et abbatiœ, ab his quidquid ecclesiasticarum, quidquid secularium dignitatum, est, emebatur.

Ce fut dans cette misérable condition que se développa, au physique comme au moral, l’adolescence d’Henri IV. La cour du jeune roi était, selon la coutume, transportée tantôt dans un lieu, tantôt

  1. Sur le caractère et l’histoire d’Annon, voyez la longue notice de l’Art de vérifier les dates, t. III, p. 265 ; Fleury, loc. cit., t. LX, p. 48, et surtout M. Linder, Anno II der Heilige, etc. Leipzig 1862, in-8o.
  2. Voyez les Antiquit. Goslarienses, dans les Rer. germanic. script. de Heineccius et Leuckfeld, 1707, in-fol.
  3. Fleury, loc. cit., LX, 57.
  4. Voyez par exemple les Annales Corbeienses, dans Leibniz, Rer. Brunsw. script., t. II, p. 305.
  5. Voyez pour les détails ce chroniqueur dans Pistorius-Struve, t. Ier, p. 330-332.