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coude un écusson large d’un pied où sont brodées les armes ; sur la tête, un haut et mince bonnet de laque noire, garni d’un ruban dont les deux bouts, noués derrière la tête, flottent sur le dos. Chacun d’eux a laissé son sabre entre les mains des officiers de son escorte, relégués en dehors de l’enceinte, et ne porte à la ceinture que le poignard. Les dames nobles ont pris place dans une galerie latérale ; remarquons en passant leurs hautes coiffures de fleurs artificielles mêlées à leurs cheveux uniformément noirs, leurs robes traînantes en crêpe de couleur tendre bariolées de riches dessins en soie et or. Du lieu où il est assis, le chiogoun peut embrasser d’un coup d’œil cette foule choisie. Au-delà des tentures, le parc se déroule avec ses masses de verdure ; puis on aperçoit les toits pressés de la ville, les collines latérales couvertes de temples et de cimetières verdoyans ; enfin au loin les eaux bleues du golfe d’Idsou que couronne la forme vaporeuse du volcan d’Oosima. Une magnifique avenue, garnie de temps en temps de toris ou portiques en bronze et en pierre, se prolonge à travers la ville, dans l’axe du temple, jusqu’au rivage de la mer. Le dernier tori a ses pieds baignés dans les vagues, et, par cette merveilleuse disposition, le temple semble avoir pour seuil l’infini de l’océan.

Cependant les officiers de la cour ont apporté des coffres laqués dont ils sortent des cuirasses, des casques de toute sorte, semblables à ceux que portent encore les nobles japonais en temps de guerre[1]. Les dorures ternies, les laques écaillées témoignent que leurs anciens possesseurs portèrent longtemps ces armures dans les combats. Un poète de la cour récite des vers où sont retracés les exploits du héros, tandis que l’armure est exposée sur un support au pied de l’estrade. Les guerriers auxquels cet honneur est rendu ont tous contribué à fonder la puissance des chiogouns. Voici la lance du général Omagataro, qui vainquit l’armée des Nitta, restés fidèles aux mikados. Les principaux honneurs sont réservés au célèbre Yashitzoné, le frère de ce Yoritomo d’où sortait, deux siècles auparavant, la première dynastie taïcounale. Ses armes, son casque, frappent les yeux par leurs faibles proportions ; mais on sait que ce héros rachetait sa petite taille par une adresse et une légèreté

  1. En 1863 et 1864, pendant les courtes expéditions que les escadres européennes durent entreprendre pour forcer les détroits de la mer intérieure, nous eûmes l’occasion de voir les combattans du prince de Nagato porter encore, derrière leurs canons des pièces de cet armement pittoresque et se servir à la fois de l’arc et de la carabine. Des postes surpris avaient de véritables salles d’armures, où celles-ci étaient suspendues prêtes à être endossées, et quelques morts en étaient revêtus. Depuis lors, le costume et l’équipement européens ont été adoptés par tout le Japon en même temps que notre organisation militaire.