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république reçoit une offre de 50 milliards à des conditions qui ne diffèrent point beaucoup de celles que la confédération du nord faisait au moment même de lancer ses troupes sur notre territoire. Eh bien ! ces résultats mesurent assez exactement la distance qui sépare les deux pays, et qu’il dépend de nous de rendre encore plus sensible. Que faut-il en définitive à la France pour reconstituer son épargne et reprendre le rang qui lui appartient ? Rien que la patience et le travail. Son sol, merveilleusement doué, défie toute comparaison avec cette grande sablière qu’on appelle le royaume de Prusse, où des populations clair-semées trouvent à peine leur subsistance. La petite propriété, aux mains de nos paysans, a décuplé tout à la fois le capital foncier et le nombre des défenseurs de l’ordre social, tandis que la féodalité allemande, avec ses latifundia, compromet la fortune publique et allume au sein des masses des convoitises qui auront leur jour. Le mouvement comparé des caisses d’épargne met en relief cette influence de la constitution de la terre, et encore faut-il ne point perdre de vue que, depuis vingt ans, les capitaux économisés dans nos villages ont en grande partie suivi d’autres courans. Les officiers prussiens ne cachaient point leur surprise à la vue du bien-être qui règne aujourd’hui parmi les populations rurales, et, comparant cette situation avec celle de leur pays, ils s’écriaient que jamais l’Allemagne n’aurait pu supporter le quart des maux infligés à nos départemens par l’invasion. Un peuple où le nombre a l’aisance ne doit point douter de ses destinées. « Les ressources de la France sont inépuisables, » a dit Napoléon III en présence des chambres assemblées, et cette parole imprudente fut blâmée à la tribune par M. Thiers dans un discours fameux. Étrange ironie du sort ! l’homme qui prenait la France pour un Pactole l’a mise brusquement à deux doigts de sa perte, et c’est M. Thiers, l’inutile prophète de tant de ruines, que les événemens ont choisi pour prouver au monde entier, par un ensemble d’opérations financières où le merveilleux le dispute à la science, que les richesses de notre pays sont réellement « inépuisables. »


EUGENE TROLARD.