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PHILIPPE.

— Vous avez vu Philippe aujourd'hui ?

— Il me quitte,—elle prit un carton qui était près d'elle,—et voici ce qu'il m'apportait,…—elle fit une seconde pause,—pour notre mariage.

— Mme d'Hesy se pencha.—Oui, je vois, murmura-t-elle.

— Cette couronne, reprit Elsie,—elle se la mit au front,—et ce bouquet;—elle se l'attacha au corsage.—Me voilà en mariée, dit-elle avec mélancolie. Il voulait me voir ainsi, car il croit à l'avenir. Moi, je ne l'ai pas voulu.—Elle ôta lentement la couronne et le bouquet; sa poitrine se soulevait, ses mains erraient un peu au hasard, ses yeux se remplissaient de larmes. Quant à Mme d'Hesy, elle baissait le regard et ne disait mot.

— Ah ! fit sourdement Elsie, c'était ma dernière épreuve, je vois bien qu'il faut en finir.

Ce fut cependant Mme d'Hesy qui rompit le silence.—Vous avez des nouvelles de votre père ? demanda-t-elle.

— Oui.

— Et il arrive ?

— Je ne sais plus quand. S'il était arrivé, comme il nie l'écrivait, en même temps que sa lettre que j'ai reçue hier, il serait ici; mais il n'y est pas, et il est probable alors qu'il n'arrivera que dans un mois.

— Seulement ! dit Mme d'Hesy en secouant la tête.

— Oui, fit Elsie provocante, et cela vous paraît très éloigné encore, madame ?

Mme d'Hesy se sentit offensée.—Mademoiselle ! Mais Elsie se leva, et, la regardant bien en face:—Pourquoi n'avez-vous pas la franchise de me le dire ?

— Eh bien ! je l'ai, répondit Mme d'Hesy en se levant à son tour. Oui, j'aurais voulu que votre père arrivât enfin, tout de suite, parce que nous ne saurions vivre plus longtemps dans l'incertitude où nous sommes, et que cette question de mariage, d'où dépendent votre bonheur et celui de Philippe, d'où notre sort dépend, à moi et à ma fille, j'aurais voulu sur-le-champ la terminer avec lui.

— Alors, dit résolument Elsie, puisque mon père n'est point là, pourquoi ne la traiteriez-vous pas avec moi, madame ? Mme d'Hesy ne put retenir un geste.—Avec vous !

— Avec moi. C'est de ma destinée qu'il s'agit. Aussi bien que le ferait mon père, je vous répondrai. Interrogez-moi.

— Vous interroger, moi ! Et si en un pareil sujet j'avais à dire quelque chose que vous ne puissiez entendre ? Oh ! mademoiselle, acheva-t-elle d'un ton glacial, restons chacune dans notre rôle, et, puisqu'il nous faut attendre, attendons.