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— Ah ! viens-t’en, s’écria Clotilde à ce mot, — et elle entraîna Philippe. Quant à Mme d’Hesy, elle les suivit ; puis, au moment de franchir le seuil de la porte, elle tendit avec supplication ses mains vers Elsie, qui disposait désormais de son sort et de celui de ses enfans[sic].

Elsie, demeurée seule, resta d’abord anéantie. Trop faible pour résister debout au coup qui la frappait, elle s’était jetée sur un divan, et s’enfonçait en sanglotant la tête dans les coussins. Mille pensées confuses l’assaillaient, au milieu desquelles il en était une qui revenait sans cesse, implacable et terrible. Philippe était perdu pour elle, Philippe était son. . . Elle ne prononçait pas ce mot-là ; mais en gémissant elle accusait sa jeunesse, son amour et sa vie. S’il faut que les crimes aient leur châtiment, pourquoi Dieu se vengeait-il sur elle et sur Philippe, qui étaient innocens ? Qu’allait-elle devenir, qu’allait-elle faire ? Elle n’avait à compter que sur elle-même. Miss Paget ne lui était qu’une inutile consolation, son père était au loin, Mme d’Hesy et sa fille lui étaient hostiles et devaient la fuir déjà comme les coupables fuient leur victime ; Philippe seul,. . . mais celui-là, il fallait à tout prix ne plus le revoir. Elle l’avait aimé, grand Dieu ! Pourquoi l’avait-elle connu ? 11 fallait qu’il perdît à jamais sa trace. C’était là le vrai, l’unique parti à prendre. Elle n’avait point à songer à elle, pas plus qu’au chagrin de Philippe, pourvu que le jeune homme ne sût jamais rien de ce qui s’était passé. — Oui, s’écria-t-elle toute frissonnante, en se levant avec des yeux subitement séché ?, d’une voix brève, — pas de lâche douleur ! hâtons-nous.

Elle appela miss Paget. — Je pars, lui dit-elle, je veux partir. Il faut tout préparer en une heure, le plus tôt possible.

— Vous voulez partir ? fit miss Paget. Je ne comprends pas.

— Tu n’as pas besoin de comprendre, répondit brusquement Elsie. Il faut que nous partions ; voilà tout.

— Mais nous ne pouvons pas partir. Votre père est arrivé.

— Arrivé, lui ? mon père ? Tu te trompes, cela n’est pas.

— Ses bagages sont dans la cour. Il sera ici dans un instant.

— Ah ! murmura Elsie en laissant tomber ses bras, la fatalité est sur moi.

— Je l’entends, dit miss Paget.

— Va au-devant de lui. Retiens-le une minute. Qu’il ne me voie pas dans cet état !

Quand miss Paget fut sortie, tout émue du désordre de sa maîtresse, Elsie s’essuya les yeux, composa ses traits. — Ah ! dit-elle avec une décision fiévreuse, il faut que lui non plus ne sache rien. Elle était presque calme pour recevoir son père. M. de Reynie, à