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prononça ces mots : — Quand je mourrai, que mon âme s’élève au ciel entourée de pareils sons. — Oubliant la société, tout absorbé en lui-même, il sortit de la chambre, suivi des regards de Mme de Bismarck. » Lorsque M. de Keudell, appelé par le ministre, se rend dans son appartement : — Cher ami, lui dit ce dernier, voici quelques instructions pour nos ambassadeurs à Vienne, à Francfort, à Berlin. Voulez-vous les expédier sur-le-champ ?

— Aussi promptement que possible, répond M. de Keudell, — et jetant un coup d’œil sur les papiers : — Excellence, c’est la guerre ! dit-il avec effroi.

— C’est la guerre, répète Bismarck, et maintenant bonne nuit ! Je suis fatigué, mes nerfs demandent du repos.

Après la difficulté de traduire en allemand un roman français, difficulté à peu près insurmontable, pour les scènes dialoguées surtout, à cause des tournures alertes et familières qui font notre supériorité dans la conversation et le style épistolaire, il n’y en a pas de plus grande que de traduire en français les lenteurs, l’emphase, les circonlocutions, les richesses surabondantes d’un ouvrage d’imagination allemand. La forme où se coule la pensée diffère déjà beaucoup chez les deux peuples, et cette fois il ne s’agit pas seulement de la forme, le fond lui-même est souvent d’une véritable étrangeté.

Du chapitre caractéristique qui vient de nous montrer le Dieu des armées, la patrie, Beethoven, mêlés en un ragoût éminemment prussien, nous passerons à celui qui nous transporte par opposition au milieu des frivoles élégances de la cour de Vienne.

Dans les salons du comte de Mensdorf, meublés avec un luxe incomparable, brillent les riches toilettes, les uniformes somptueux, et s’entre-croisent les rires légers, les conversations mondaines. La comtesse reçoit ses invités avec cette grâce aisée qui est propre à l’aristocratie viennoise. Suivent de nombreux portraits, celui de la princesse Obrenovitch, femme séparée du prince Michel de Serbie, toujours vêtue de noir, ce qui rend sa beauté plus touchante, celui du brave et galant baron de Reischach, que ses blessures glorieuses ont forcé de se retirer du service actif, mais qui porte sur l’uniforme gris de feld-maréchal-lieutenant la croix de Marie-Thérèse, la médaille de Léopold, la croix de Malte, attestant une carrière noblement remplie, — tous les membres du corps diplomatique, parmi lesquels l’ambassadeur français, M. le duc de Gramont, avec sa taille élevée, sa tournure presque militaire, ses traits aristocratiques, sa réserve affable et gracieuse. « Son front est haut et franc, dit l’auteur, mais dans ses yeux on lit cette insouciance flegmatique qui est aussi un héritage de l’ancienne noblesse française, si souvent disposée à prendre, dans les phases les plus