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confier à votre majesté que j’ai entendu parler d’un traité secret d’après lequel les armées des états allemands du sud devraient être mises sous le commandement prussien en cas de guerre…

Napoléon, ému, mais résolu néanmoins à ne pas reculer, s’il s’agit de l’honneur de la France, convoque tous ses maréchaux. — Messieurs, vous connaissez les événemens qui viennent d’avoir lieu en Allemagne. La Prusse, abusant de la victoire de Sadowa, veut créer un grand état militaire qui sera une menace continuelle à nos frontières, dont j’ai le devoir, comme souverain, de garantir la sécurité. Pour cela, j’ai entamé des négociations avec la Prusse en réclamant la restitution des frontières de 1814. On a repoussé ma demande. Avant d’aller plus loin, avant de laisser arriver les choses à un ultimatum, je veux entendre votre avis au sujet d’une guerre avec l’Allemagne, la guerre la plus importante et la plus sérieuse que la France puisse entreprendre.

— Sire, dit le maréchal Vaillant, il y a vingt ans, mon cœur eût tressailli à la pensée d’une telle guerre, d’une revanche de Waterloo ; aujourd’hui la prudence domine tout autre sentiment, et je n’oserais me prononcer sur une question qui touche d’une façon si essentielle au sort de la France. Si je suis trop circonspect, que votre majesté pardonne à mon âge. — Le maréchal Baraguay d’Hilliers et le maréchal Canrobert l’approuvent.

— Vous savez, sire, interrompt le duc de Magenta, que j’aimerais tirer l’épée contre l’ennemi ; mais réfléchissons pourtant, et puis agissons vite !

— La réflexion ne servirait de rien, réplique le maréchal Niel. Nous ne sommes pas prêts. Une guerre contre l’Allemagne exigerait la force entière de la nation et une arme qui surpassât leur fusil à aiguille. Sire, de nouvelles armes exigent une nouvelle tactique : il faudra modifier l’importance de la cavalerie, donner à l’artillerie la tâche principale. Nos forteresses de la frontière ne sont pas non plus en état de soutenir la guerre. D’ailleurs nous nous trouvons vis-à-vis d’une puissance militaire dont l’organisation exige que chaque homme soit soldat. Contre une nation entière, nous n’avons que notre armée ; si elle est battue, rien ne nous restera que des masses sans discipline, qui seront sacrifiées inutilement.

— Sire, s’écrie M. Drouyn de Lhuys, je ne suis pas militaire, mais je trouve que M. le maréchal a raison ; seulement il me semble que, pour commencer la guerre dans les conditions qu’il juge nécessaires, il faudra beaucoup de temps ; or nous n’avons pas un instant à perdre. La Prusse organisera et concentrera de plus en plus les forces militaires de l’Allemagne, et, quand nous aurons terminé tout ce que le maréchal exige, nos forces augmentées se