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conçut de grandes craintes, et ce fut pour les conjurer que le pape Urbain II et Anselme de Lucques, directeur de conscience de la comtesse Mathilde, imaginèrent de la marier avec le jeune Welf, fils du duc de Bavière, ce qui donnait un brillant défenseur à la papauté en Italie et augmentait la consistance de la révolte en Allemagne. Ce mariage offrait une habile combinaison politique : acte de pure obéissance de Mathilde, dont le caractère était peu propre à la soumission conjugale, mais tromperie envers les Welfs, à qui on laissait ignorer la fameuse donation de Mathilde au saint-siège. C’est un des faits qui ont entamé la considération de la grande comtesse aux yeux de la postérité. Il inquiéta l’empereur, qui se hâta de revenir en Italie : in Saxoniam cum expeditione profectus, sine honore reverti compellitur, dit un chroniqueur[1]. Henri se jeta sur Mantoue, l’une des plus fortes places de Mathilde, et après un long siège en obtint la soumission, ainsi que celle des pays voisins, en même temps que Rome ouvrait de nouveau ses portes à Wibert. Le succès de Henri l’aveugla. Welf le père, personnage prudent, aurait voulu traiter de la paix ; Henri en rejeta les propositions avec hauteur. C’était un moment solennel, Henri en a perdu l’opportune occasion[2]. Il lui suffisait d’abandonner Wibert pour avoir les meilleures conditions ; il s’y est refusé ; la passion avait passé de son côté. Il croyait Welf et Mathilde perdus sans ressource ; il a voulu les accabler[3] ; un coup de foudre inattendu a dû l’en faire repentir. Deux abominables trahisons, celles de sa deuxième femme et de son fils Conrad, sont venues en aide à Mathilde et à la papauté[4].

Le jeune Conrad avait été, nous l’avons dit, couronné roi des Romains à Aix-La-Chapelle le 30 mai 1087, et destiné par son père à le remplacer en Italie avec l’assistance des conseillers dont il l’avait entouré. Il avait à peine vingt ans à l’époque où a éclaté sa révolte, en 1092. L’annaliste saxon, moine d’Halberstadt, que le savant Eccard[5], au siècle dernier, avait cru pouvoir identifier avec Ekkehard, moine à Corwey, puis abbé d’Ursperg, mais qu’il n’est plus permis de confondre aujourd’hui après les recherches profondes et les éditions excellentes de M. Waitz[6], — l’annaliste

  1. Voyez Berthold de Constance, sur l’an 1089, et Saint-Marc, t. IV, p. 1253, où la matière est amplement traitée. Cf. aussi l’Art de vérifier les dates, t. III, Toscane.
  2. Voyez le texte de Berthold de Constance, sur l’an 1091, et Mascov, foc. cit., p. 110.
  3. Voyez Struve, p. 336, 346, 347, et Giesebrecht, t. III, p. 622.
  4. Voyez Giesebrecht, ibid., p. 630 et suiv., et Mascov, p. 110 et suiv.
  5. Voyez son Corpus historicum rnedii œvi, Lips. 1723, 2 vol. in-fol., t. Ier, préface et p. 585.
  6. Dans la collect. de M. Pertz, t. VII. Cf. aussi les Archives de M. Pertz, t. VII, p. 469-509.