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saxon, écrivain fort instruit et dévoué au saint-siège, nous a laissé de Conrad un portrait qui explique parfaitement sa défection. Son père avait mal connu cette âme faible, et, absorbé par le soin des affaires, il avait probablement négligé la surveillance de son éducation première, ou plutôt cette rébellion du fils était un signe du changement des esprits contre le père et du triomphe de la cause de Grégoire VII dans l’opinion du siècle « Conrad, dit l’annaliste saxon, avait donné en Italie une telle idée de son caractère que tout le monde attendait de lui le rétablissement de l’ordre dans l’empire. Par-dessus tout, il était catholique et dévoué au saint-siège, erat enim vir per omnia calholicus et apostolicœ sedi subjectissimus, plus occupé de religion que d’armes et d’éclat, plus religioni quam fascibus et armis deditus, doué toutefois d’une volonté ferme et même de hardiesse dans ses desseins, plus sensible aux choses de l’esprit qu’aux jeux de son âge, doux et compatissant aux misérables, bienveillant pour tout le monde, affable et accessible à toutes les conditions de personnes, aimé de Dieu et des hommes. On assure qu’il avait voué sa vie au célibat… » Conrad était donc intérieurement tout gagné aux ennemis de son père. Peut-être ce dernier avait-il cru que les dispositions morales du jeune homme, auquel il prodiguait une confiance affectueuse, achèveraient de lui concilier les esprits en Italie ; il ne soupçonnait pas le parti que des adversaires décidés à tout oser pouvaient tirer de l’ascétisme étroit de son fils, et ce jeune prince devint facilement la proie des intrigues qui l’entouraient. Welf et Mathilde pratiquèrent auprès de lui des intelligences qui se pouvaient couvrir de l’affection du sang, et, tout en paraissant réserver le respect de l’autorité paternelle, ils obtinrent du prince des manifestations qui aboutirent à la révolte. La simplicité de l’adolescent catholique fut dupe des odieuses manœuvres d’un vieux politique comme Welf et d’une dévote intrigante comme Mathilde, dont la piété affectée fascina aisément le malheureux Conrad. Les motifs spéciaux de la révolte, allégués d’abord avec une discrétion perfide, puis répandus en éclat scandaleux, ajoutèrent encore à l’infamie du procédé, qui se masqua de religion. « La fausse dévotion, disent à ce propos les bénédictins de l’Art de vérifier les dates, va souvent plus loin dans le crime que le libertinage, parce qu’elle s’y porte avec plus d’ardeur et de sécurité[1]. » On ne prononçait le nom de l’empereur qu’avec révérence devant le jeune prince, et il ne souffrait pas qu’on parlât devant lui des causes présumées de sa révolte[2], mais on se disait à l’oreille que l’empereur avait voulu par un abominable caprice

  1. L’Art de vérifier les dates, t. III, p. 760, article de Mathilde, la grands-comtesse.
  2. « Legalis præcepti memor, turpitudinem patris tui non revelabis, itemque honora patrem tuum, murmor quod per totem romanum imperium patris sui mores laniabat, quod etiam offensæ patris, ac suæ discessionis ab illo sibi causa extiterat, auribus prepriis nunquam patiebatur inferri, etc. » Annalista saxo, loc. cit.