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dans le trésor public et caché dans des églises ; elle se vengea par le traité de Troyes. L’expiation ne se fit pas attendre. A la mort de Charles VI et de Henri V, elle tomba dans un isolement complet, et subit le plus cruel châtiment qui puisse atteindre les ambitieux, celui de survivre à leur fortune. De 1422 à 1435, elle vécut misérablement à Paris, chargée de la haine universelle ; la nuit même de sa mort, on l’emporta dans un petit bateau qui attendait son cadavre au bord de la Seine, et on l’enterra secrètement, comme si l’on eût craint d’outrager la nation en lui rendant les honneurs dus à son rang.

L’ingérence d’Anne de Bretagne dans la politique se fit sentir sous Louis XII, non plus par des crimes, comme au temps d’Isabeau, mais par des fautes et des inconséquences d’une extrême gravité. Anne, que le bon roi Louis « dans ses goguettes[1] » appelait sa Bretonne, ne put jamais s’habituer à l’idée d’être Française. Lorsque le roi son mari tomba malade à Blois en 1505, elle n’eut d’autre souci en prévision de sa mort que de déménager au plus vite pour retourner en Bretagne. Elle chargea ses meubles et ses trésors sur quatre bateaux qu’elle dirigea vers Nantes. Le maréchal de Gié, quoique Breton, les fit saisir, et ce brave et loyal soldat, qui avait rendu les meilleurs services pendant les guerres d’Italie, fut pour ce fait détenu pendant cinq ans dans le château de Blois. Anne n’usa de son influence que dans l’intérêt de l’empire ou de la papauté. En 1511, elle s’opposait à la déposition de Jules II, que le concile de Pise était sur le point de prononcer, pour répondre à l’excommunication qu’il avait fulminée contre Louis XII sans pouvoir la justifier autrement que par des motifs purement temporels. Après la bataille de Ravenne, qui avait ouvert à l’armée française la route de Rome, elle détourna Louis XII de marcher sur cette ville et de l’occuper, ce qui eût inévitablement mis fin aux ligues italiennes. En 1513, elle décida ce prince à souscrire au concile de Latran, qui n’était qu’une réaction de l’ultramontanisme contre l’église gallicane, et par ces humiliations du vainqueur devant les vaincus, par ces ménagemens intempestifs pour un ennemi implacable, elle ruina la prépondérance française dans la péninsule, et prépara les revers de François Ier par les revers de Louis XII. Enfin, au moment où sa fille Claude fut recherchée en mariage par le duc de Luxembourg, qui fut depuis Charles-Quint, et François de Valois, comte d’Angoulême, elle appuya le duc de Luxembourg. Heureusement Louis XII, qui ne voulait, disait-il, « allier ses souris qu’aux rats de son grenier, » eut la sagesse de consulter les états-généraux : ils se prononcèrent en faveur du comte d’Angoulême, et Claude

  1. C’est le mot de Brantôme.