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de Bièvre, qui passe sous l’une de ses arcades. Il ne suit pas exactement le trajet de l’aqueduc de Julien, dont un pan de ruinés est encore debout dans le voisinage. Ce vestige de l’ancienne conquête a résisté à tout ; le temps n’est pas parvenu à l’égrener de ses doigts inflexibles. Il est composé de couches alternatives de moellons et de tuiles rouges dont le revêtement est tombé ; à l’heure qu’il est, il ne sert plus que d’espalier à un énorme lierre[1].

On gravit un terrain en pente où végète un jardin potager ; le long de la muraille, on voit des bornes gerbées les unes par-dessus les autres, verdies, moisies, dévorées par les mousses : ce sont les bornes de repère qui jadis indiquaient le trajet des conduites souterraines dans les champs et à travers les rues de Paris jusqu’au grand réservoir de la vieille estrapade ; on les a arrachées il y a une trentaine d’années, et depuis cette époque elles gisent sans utilité à l’abri du grand aqueduc dont elles furent jadis les sentinelles avancées. Toujours marchant au milieu de plates-bandes cernées de buis, on arrive à la porte du regard n° 13, qui est situé à 7,164 mètres du point de captation : on ouvre la porte, et l’on se trouve dans une chambre pleine de rumeurs ; l’eau y bruit avec des glouglous retentissans. Un large tuyau en fonte rampe au-dessus d’un petit canal taillé dans la pierre et escorté de deux trottoirs ; une longue galerie voûtée, striée par des jours blanchâtres et blafards projetés à travers des ouvertures étroites comme des meurtrières, s’enfonce dans la nuit, et semble se briser tout à coup à un angle éloigné. C’est comme un immense cloître abandonné auquel il ne manque que le silence. Je l’ai visité le 15 mars dernier, et jamais peut-être il n’avait été en telle effervescence. Les pluies tombées en abondance avaient grossi les rivières, gonflé les sources, pénétré le sol, et l’eau ruisselait violemment à travers l’aqueduc ; la conduite métallique d’un diamètre de 30 centimètres, insuffisante à contenir l’eau qui s’y voulait précipiter, laissait échapper dans le canal qu’elle surmonte tout ce qu’elle ne pouvait accepter. Celui-ci roulait une eau rapidement entraînée par la pente, mais qui, malgré le courant, déposait en hâte tous les calcaires qui la chargent et se faisait ainsi un lit épais de carbonate de chaux. Ce canal servait donc de déversoir au trop-plein, qui était considérable, puisque la moyenne du rendement des sources du sud est de 1,200 litres par minute et qu’il était alors de 6,000. De mémoire d’homme, on n’avait vu un pareil volume d’eau glisser dans le vieil édifice de Jacques de Brosse ; mais cette eau que les conduites normales ne peuvent amener

  1. Était-il enduit à l’intérieur de ce fameux ciment nommé maltha, qui, d’après les écrivains antiques, était composé de chaux vive pulvérisée et mêlée ensuite avec du vin, du saindoux, de la poix, de la cire, de l’huile et des figues ?