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d’avant en arrière des versets du Coran, et, comme l’heure de la prière du soir allait être annoncée, le vieux imam allumait, de ses mains tremblantes, les veilleuses suspendues entre les piliers. L’islamisme n’est pas, ainsi qu’on le croit trop souvent, un ensemble de dogmes farouches et de superstitions puériles ; il se fonde avant tout sur la miséricorde céleste et sur la confiance en l’infinie bonté de Dieu. Une musulmane va chercher à la mosquée, comme une chrétienne à l’église, un soulagement à ses peines, et un secours aux heures de la tentation. Elmas priait donc avec confiance ; mais il paraît que sa prière ne fut pas écoutée, car, après une heure passée dans le lieu consacré, elle se trouva plus éloignée que jamais du but qu’elle espérait atteindre. Pendant que ses lèvres murmuraient les harmonieuses paroles des sourètes apprises dans son enfance, son esprit était ailleurs. Le silence de cette fraîche mosquée lui rappelait le grand salon isolé et plein d’ombre où elle avait passé une partie de la journée de la veille ; bientôt elle oubliait ses terreurs d’un moment pour s’abandonner à une voluptueuse rêverie toute pleine des réminiscences de la faute qui causait à la fois son tourment et son bonheur. Pendant les jours qui suivirent, elle revint à la mosquée plus souvent qu’à aucune autre époque ; mais elle dut bientôt renoncer à ces pieux pèlerinages, car elle s’aperçut que ses pensées, dans la solitude du sanctuaire, s’égaraient bien loin de la route qu’elle aurait voulu leur faire prendre.

Heureusement pour elle, l’imprudence qu’elle avait commise en sortant seule pour aller trouver son amant n’avait pas eu de suites ; on ne s’était pas aperçu de son absence. Il arriva même qu’à partir de ce moment Djémil-Bey lui témoigna plus d’égards que par le passé ; il alla jusqu’à s’excuser du mouvement de vivacité auquel il avait cédé, dit-il, dans des circonstances où des contrariétés de diverse nature ne lui laissaient pas toute sa liberté d’esprit. Elmas pénétra sans peine le véritable motif de ce retour à de meilleurs sentimens ; le mektoubdji craignait que sa femme ne se plaignît à sa famille ou au pacha, et il avait intérêt à rester en bons termes avec son chef direct et avec l’ancien ministre. Elle n’avait jamais eu grande estime pour Djémil, mais à partir de ce moment elle le méprisa davantage. Le changement de conduite du fonctionnaire n’échappa point non plus à Nedjibé, bien qu’elle n’eût pas l’intelligence assez prompte pour en découvrir la raison ; par une conséquence toute naturelle, sa malveillance à l’égard d’Elmas ne fit que s’accroître. Elle la lui témoignait en mainte occasion, et, quand elle se trouvait sans l’autre femme du bey à un dîner avec des étrangères, au bain, à la promenade, Nedjibé donnait carrière à sa malveillante imagination. L’aristocratie féminine avait plus d’affinités