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expression ni aucune autre qui lui ressemble ne se lit dans les documens. Nous ne voyons jamais non plus qu’il s’y attachât l’idée d’une conquête ; toutes les chartes et les actes disent formellement que la seule origine de la propriété allodiale est l’héritage. L’alleu ne constitue d’ailleurs aucun privilège et ne confère aucune noblesse. Il n’est pas autre chose à cette époque qu’un bien foncier, une part de sol sur laquelle l’individu exerce un droit complet de propriété ; il appartient aussi bien à un ecclésiastique qu’à un laïque, à un laboureur qu’à un soldat, à un pauvre qu’à un riche.

Il ne faut pas d’ailleurs nous faire de l’alleu de ces temps-là l’idée qu’on s’en est faite plus tard. Au milieu de la féodalité, l’alleu apparaîtra comme une exception rare et singulière ; on se le représentera comme une terre indépendante de toute espèce d’autorité, exempte de tout impôt et même de toute juridiction ; on dira de lui qu’il est tenu de Dieu. Ces traits ne s’appliquent pas à l’alleu des premiers siècles du moyen âge ; il n’est pas encore une exception ; toute terre peut être possédée en alleu. Les documens montrent qu’il est exempt de toute redevance ayant un caractère privé, c’est-à-dire de toute espèce de fermage[1] ; mais ils ne disent jamais qu’il soit exempt d’impôts ni indépendant des pouvoirs publics. Ils lui attribuent invariablement deux caractères essentiels : premièrement l’alleu ne doit ni rente, ni service d’aucune sorte, ni foi, ni rien qui ressemble à ce qu’on appellera plus tard l’aveu ou le relief ; deuxièmement il est héréditaire, transmissible à volonté, susceptible d’être donné, vendu, légué. Nous avons constaté que la propriété romaine avait exactement les mêmes caractères. Que l’on compare les formules et les actes de l’époque mérovingienne au Digeste et aux codes impériaux, on reconnaîtra que tous les attributs de la propriété romaine se retrouvent dans l’alleu, et l’on reconnaîtra aussi que l’alleu n’a aucun attribut qui ne fût déjà dans la propriété romaine[2]


III. — DE LA POSSESSION BENEFICIAIRE DANS L’EMPIRE ROMAIN.

A côté du droit de propriété que nous venons de décrire, il y a eu durant les mêmes siècles un certain mode de possession de la

  1. C’est le vrai sens du mot immunis au VIIe siècle ; on en voit la preuve dans cette formule de donation où un simple particulier dit : « Je vous fais don de cette terre ; vous la posséderez avec le plein droit de propriété, sans m’en payer aucune redevance, avec une entière immunité. » Formules, édit. de Rozière, n° 101.
  2. Un chroniqueur du Xe siècle, Sigebert de Gembloux, exprime l’idée d’alleu par les termes du droit romain res mancipi. Plus tard, Pithou définit l’alleu ainsi : alodium, res mancipi, proprietas. Salvaing l’assimile à ce que les jurisconsultes du IIIe siècle appelaient jus italicum. Voir Galland, Du franc-alleu, et Ch. Giraud, Recherches sur le droit de propriété, p. 304 et suiv.