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mît en recueil plusieurs générations les avaient prononcées devant les tribunaux ou écrites sur les registres des curies. Rien ne prouve qu’elles ne soient pas aussi anciennes que l’usage du précaire romain. Si on les rapproche d’un fragment de formule qui nous a été conservé par Scœvola dans le Digeste, on y retrouvera le même trait caractéristique[1]. Il semble que du jurisconsulte Scœvola au moine Marculfe la formule se soit seulement développée, allongée, et qu’elle soit devenue plus explicite et plus claire. Une loi impériale avait tracé les règles d’après lesquelles devait être rédigé l’acte de précaire pour les terres de l’église ; les formules de l’époque mérovingienne reproduisent exactement les dispositions indiquées par cette loi[2].

Le précaire ou bienfait de l’époque mérovingienne produit aussi. les mêmes effets que le précaire romain : il ne confère qu’une jouissance. La concession n’est jamais perpétuelle ; souvent le terme de la jouissance est fixé, comme dans le précaire romain, à cinq ou à dix années[3], avec faculté de renouvellement. Plus souvent la jouissance est viagère : parfois elle s’étend au survivant de deux époux ; d’autres fois l’acte indique qu’elle passera au fils, mais qu’elle n’ira pas plus loin que la seconde génération[4]. On a trouvé une formule de concession de père en fils à perpétuité ; mais encore ne donne-t-elle pas la faculté de vendre, de léguer, de laisser à des collatéraux, et elle stipule que le domaine fera retour au donateur à défaut de descendance directe et légitime. Souvent la durée de la jouissance n’est pas fixée : « j’occuperai votre terre, y est-il dit, aussi longtemps qu’il vous plaira. » Il n’y a pas un seul acte, une seule formule qui laisse supposer que le bénéfice fût héréditaire et transmissible au même titre que la propriété.

Il ne paraît pas non plus que le bénéfice fût jamais accordé sans conditions. Déjà sous l’empire il avait souvent les mêmes effets que la location sans se confondre pourtant avec le contrat de louage ; dans la société gallo-franque ce caractère s’accentua davantage, et quoiqu’on s’attachât à conserver à l’acte de précaire tous les traits essentiels du précaire romain, on ne craignit plus d’y insérer la

  1. Id te ex voluntate mea facere hoc epistola notum tibi facto. Scœvola au Digeste, liv. XXXIX, tit. 5. — Comparer les formules mérovingiennes : mea decrevit volunlas, mea non denegavit voluntas.
  2. On peut comparer la loi 14 du code Justinien, liv. Ier tit. 2, avec les formules 326, 327, 328 du recueil de M. de Rozière.
  3. Formules de Rozière, no 320 ; comparer Ulpien au Digeste, XLIII, 26, 4 et 8 ; Celsus au Digeste, XLIII, 26, 12.
  4. Id., no 345 et 348 ; 323, 349, 350, 353.