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actes nous a été conservée ; on avait soin d’y marquer, suivant le vieil usage, la prière de l’impétrant, le bienfait du concédant, enfin la durée limitée de la concession. Les rois ne faisaient donc pas autrement que les particuliers : ils n’avaient rien imaginé de nouveau ; ils se contentaient d’emprunter aux pratiques de la vie privée un mode de concession temporaire qui était depuis longtemps dans les mœurs de la société gallo-romaine.

Entre la donation en toute propriété et la concession en simple bénéfice, aucune confusion n’était possible. Les formules des deux actes étaient absolument différentes ; les termes sacramentels de l’une étaient l’opposé des termes qui étaient employés dans l’autre. L’une commençait toujours par mentionner des services rendus afin d’attribuer au donataire un droit personnel ; l’autre commençait par rappeler une prière afin de constater que le concessionnaire, n’avait et n’aurait jamais aucun droit. L’une assurait dans les termes les plus clairs l’hérédité et la perpétuité ; l’autre spécifiait avec la même clarté qu’il n’était accordé qu’une jouissance temporaire. Si la durée de cette jouissance n’était pas indiquée, c’est qu’il était entendu que le bienfait était révocable à volonté. On peut remarquer que presque tous les bénéficiaires dont les chroniqueurs font mention sont des fonctionnaires royaux : le bénéfice semble avoir été à peu près inhérent à la fonction ; il était juste qu’il cessât avec elle. En général, la donation en alleu récompensait les services passés, le bénéfice rémunérait les services présens[1].

On s’est demandé de nos jours si les bénéfices avaient été héréditaires ou viagers ; nous ne voyons à aucun indice qu’au VIIe siècle cette question ait été posée. Elle ne pouvait pas l’être, car il y avait contradiction absolue entre les mots bénéfice et hérédité. Qui disait bénéfice disait bienfait ou faveur, c’est-à-dire absence de tout droit chez le concessionnaire. Bénéfice et propriété étaient deux termes opposés qu’il était matériellement impossible de prendre l’un pour l’autre. Il ne pouvait venir à l’esprit de personne qu’un bénéfice fût une propriété héréditaire. Ce qui arrivait quelquefois, c’était qu’un homme qui avait reçu une terre en bénéfice désirât que la même terre lui fût donnée en propriété. Il s’adressait alors au roi, et, si sa demande était agréée, on dressait un second diplôme tout à fait différent du premier, et où l’on indiquait par une formule spéciale que la terre n’était plus concédée en bénéfice, mais qu’elle était donnée à perpétuité.

  1. Ce qui a pu donner lieu à quelques erreurs, c’est que, dans les formules et les actes de donation en alleu, les mots bienfait et munificence sont souvent employés. Cela tient aux habitudes de style de la chancellerie mérovingienne. Ces termes, pris avec leur sens propre, pouvaient également convenir aux deux sortes d’actes ; mais on doit remarquer qu’ils n’y étaient pas employés de la même façon.