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terrain si rocailleux qu’il est difficile d’y passer à cheval ; son seul avantage consiste dans un petit ruisseau d’eau pure qui coule à côté de la tente du général en chef. Çà et là quelques fourgons dételés dont les chevaux errent librement à l’entour. Ni gardes ni sentinelles dans le voisinage, nulle part cette foule d’aides de-camp causant et flânant, faisant les honneurs du camp ou évitant à leurs généraux l’invasion des intrus. Une grande ferme située tout auprès eût dans une autre armée été occupée par le général en chef, mais Lee exige le respect absolu de la propriété d’autrui et en donne le premier exemple. Ses officiers d’état-major sont plus qu’à l’étroit, deux ou trois dans une même tente ; il ne leur est permis d’avoir qu’une seule petite malle, et celle de Lee est à peine plus grande. Tous ceux qui abordent le général en chef le font avec un profond respect, quoiqu’on ne connaisse ici aucune de ces formes exigées devant les généraux européens, et, tandis que tous l’honorent et ont une foi absolue dans sa valeur et ses capacités, ceux qui l’approchent ont pour lui la vénération du fils pour le père. Malgré toutes les pertes personnelles qu’il avait faites, Arlington ravagé et confisqué[1], le White House incendié par l’état-major de Mac-Clellan dans sa retraite, Lee, lorsqu’il parlait des Yankees, ne montrait aucune amertume et ne se laissait aller à aucune expression violente, mais faisait au contraire souvent allusion à ses anciens camarades restés dans l’armée fédérale avec des souvenirs pleins de bonté. »

Le repos des troupes ne devait pas être de longue durée. À la fin de novembre, Burnside, qui commandait les fédéraux, avait reçu l’ordre de recommencer les hostilités. Ne voulant pas risquer un engagement général, il résolut de marcher contre Fredericksburg, sur le Rappahanock, et de s’en emparer pour y faire des quartiers d’hiver fort commodes pour reprendre l’offensive dès le printemps. Lee, à qui sa cavalerie vigilante apprenait tous les mouvemens de l’ennemi, envoya sur-le-champ Longstreet occuper les hauteurs de Fredericksburg, avant l’arrivée de Burnside, et l’y suivit aussitôt.

Peu de jours après, la bataille s’engageait. Ne pouvant pas, vu la configuration du terrain, empêcher le passage du Rappahanock,

  1. Arlington avait en effet été occupé militairement par les autorités fédérales ; tout ce qui y était contenu avait été pris, pillé, dispersé, la maison transformée en ambulance, le jardin et le parc en cimetière, où plus de 20,000 soldats fédéraux furent enterrés jusque sous les fenêtres mêmes de l’habitation, la rendant ainsi à tout jamais inhabitable. De plus, par un acte passé plus tard, le gouvernement de Washington confisqua la propriété, donnant pour prétexte que depuis deux ans de guerre les impôts n’avaient pas été payés, et refusant les offres réitérées par des parens et des amis dans le nord de les acquitter. Arlington n’a jamais été rendu depuis à ses propriétaires.