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ressources illimitées, et peu scrupuleux quant aux sacrifices de vie humaine qu’exigeait ce plan de campagne. Lee n’ignorait pas la proportion croissante et terrible des chances contre lui. Toute son armée maintenant ne comptait pas 50,000 hommes, et il ne pouvait espérer de renforts. Les populations du sud sentaient comme lui la gravité extrême de leur situation, et dans une proclamation signée par les mères, les femmes et les sœurs des soldats, ceux-ci étaient instamment exhortés, au nom de leur patrie atteinte, à être dignes d’elle et de sa noble cause. Épuisant leurs plus extrêmes ressources, et la plupart réduites par cette longue guerre à une pénurie absolue, elles envoyaient aux troupes tout ce qui leur restait d’un luxe depuis longtemps disparu, et châles de cachemire, étoffes précieuses étaient transformés par elles en chemises et en vêtemens chauds.

Les positions de Lee étaient fortes et s’étendaient en une longue ligne sur le Rapidan. Au commencement de mai, Grant attaqua le premier ; mais son habile adversaire le força de livrer bataille dans la partie la plus difficile du pays, et qui l’année précédente avait été si funeste aux fédéraux. C’était de nouveau dans ce Wilderness, où les forêts sont si denses, les broussailles si enchevêtrées, qu’aucune troupe ne peut s’y déployer. Le premier jour, l’avantage resta aux confédérés, bien qu’ils y perdissent beaucoup d’hommes ; le second, l’engagement fut terrible. Les charges se succédaient à travers l’épais taillis. Un triste et singulier hasard fit qu’au moment même où les deux principaux généraux de Lee, Jenkins et Longstreet, allaient bloquer Grant entre le Wilderness et le Rapidan, ils tombèrent tous deux, l’un mort, l’autre blessé par les balles de leurs propres soldats, qui dans l’épaisseur du fourré ne les avaient pas reconnus. Comme l’année précédente et presqu’à la même place, les balles des confédérés étaient venues dans un moment décisif arrêter leurs chefs. La confusion qui en résulta parmi les sudistes donna aux fédéraux le temps de se rallier. Le combat reprit avec fureur, les troupes fédérales furent repoussées derrière leurs palissades. Celles-ci prenant feu, la scène devint effroyable ; la bataille continua à travers la forêt brûlante. Une partie des fédéraux fut refoulée jusqu’à Chancellorsville, mais, la nuit arrivant, Lee ne put les poursuivre, et la difficulté extrême d’avancer dans le fourré arrêta le combat. Les nouvelles journées du Wilderness coûtaient aux confédérés 7,000 hommes tués ou prisonniers ; les pertes des fédéraux étaient trois fois supérieures.

Continuer une attaque de front contre le général Lee dans les fourrés inextricables du Wilderness était chose trop hasardeuse ; Grant conçut le dessein de se placer entre son adversaire et les