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murailles de Richmond. Lee devina ce plan, et on vit alors une des plus extraordinaires suites de marches dont les annales de la guerre aient gardé le souvenir : laissant par des feintes adroites Grant ignorer tout à fait ses mouvemens, il prit rapidement une route plus directe, et atteignit Spottsylvania, position convoitée par les fédéraux. Il y avait déjà construit des ouvrages en terre pour se défendre lorsque Grant arriva. Celui-ci attaqua aussitôt, sans pouvoir le premier jour déloger les confédérés. Le lendemain, l’assaut recommença. Les hommes se battaient corps à corps dans les tranchées, les confédérés défendant leurs remparts avec une bravoure extrême. Un moment, Grant crut avoir coupé en deux l’armée de Lee en s’emparant de la position centrale tenue par Johnston ; mais il ne put entamer les lignes intérieures, et il dut reconnaître qu’il n’avait gagné aucun avantage décisif. Ces journées furent peut-être les plus meurtrières et les plus féroces de toute la guerre. Les armées étaient si rapprochées que les drapeaux rivaux étaient plantés sur la même palissade. Du côté des confédérés, derrière leurs ouvrages en terre, s’élevaient des monceaux de cadavres tués à la baïonnette par les soldats fédéraux, qui avaient d’abord franchi les retranchemens. Ici encore les confédérés perdirent plus de 7,000 et les fédéraux 18,000 hommes.

La situation de Lee fut à plusieurs reprises extrêmement critique, et à aucun moment il ne fut plus près d’un désastre complet ; mais son sang-froid et son coup d’œil d’aigle ne lui firent pas un moment défaut. Reformant lui-même les rangs avec une fougue à laquelle il ne s’abandonnait pas d’ordinaire, se mettant à la tête d’un de ses régimens virginiens, il ôta son chapeau, et, se tournant vers ses hommes, leur montra l’ennemi. Un tonnerre d’acclamations répondit au geste du vieux guerrier, qui, seul en avant, les yeux en feu, la tête nue, semblait défier le danger. Le général Gordon, bondissant vers lui, saisit la bride de son cheval. « Général Lee, ceci n’est pas votre place ! il faut aller à l’arrière, vos Virginiens, vos Géorgiens n’ont jamais reculé. Enfans, vous ne reculerez pas ici ! cria-t-il aux troupes en se levant sur ses étriers. — Non, non ! Lee à l’arrière ! Lee à l’arrière ! » fut le cri universel, et Lee dut se retirer, laissant le commandement à Gordon, son brave lieutenant.

Grant resta huit jours campé devant les retranchemens de Lee, attendant de nouveaux renforts du nord, et cherchant le côté faible de son ennemi pour l’attaquer. Comme il n’en put découvrir aucun, il reprit son plan de marche sur Richmond. Arrivant le 23 mai à North-Anna-River, il se trouva de nouveau en face de Lee, qui l’attendait dans une forte position au sud de la rivière, afin de lui en disputer le passage. Grant essaya de traverser à droite, puis à