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« héros magnanimes nés dans des siècles meilleurs, » et à côté d’eux les prêtres qui ont accompli fidèlement leurs devoirs, les poètes dont les chants ont été dignes des dieux, enfin les bienfaiteurs de l’humanité, « ceux qui en inventant les arts ont embelli la vie, et ceux qui par les services qu’ils ont rendus aux hommes ont laissé d’eux un souvenir immortel. » Dans la façon dont il décrit leur existence, Virgile s’inspire tout à fait des anciennes traditions ; il revient au temps où l’on ne pouvait imaginer après la mort qu’une sorte de continuation de la vie. Les habitans de l’Élysée ne connaissent guère d’autres plaisirs que ceux dont ils jouissaient sur la terre : « les uns se livrent aux exercices de la palestre et luttent entre eux sur le sable doré, les autres frappent la terre en mesure et chantent des vers. Ceux qui aimaient les chars et les armes, qui élevaient dans les pâturages des chevaux au poil luisant, conservent ces goûts au-delà de la tombe. A droite et à gauche, d’autres prennent leur repas sur le gazon et chantent en chœur un joyeux pœan à l’ombre d’un bois de laurier aux douces senteurs. » Qu’ont-ils vraiment de plus que lorsqu’ils étaient en vie ? Ils sont délivrés de quelques soucis vulgaires : « aucun d’eux n’a de demeure fixe ; ils habitent au milieu des bois touffus, sur le penchant des rivages, dans les prairies où les ruisseaux entretiennent la fraîcheur. » Ils jouissent dans ces demeures heureuses d’une paix et d’un repos dont Virgile a voulu nous donner une idée par l’harmonie calme de ses vers ; ils possèdent pour eux des astres et un soleil particuliers, jdIus brillans que les nôtres, ils respirent un air plus large, ils sont inondés d’une lumière pure.

Jusque-là Virgile ne s’écarte pas des descriptions ordinaires de l’Elysée ; tout ce qu’il nous dit, il avait pu le lire dans ces vieux poèmes qui racontaient la descente d’Hercule et de Thésée aux enfers : c’est bien ainsi que ces époques reculées et naïves se figuraient la vie des bienheureux ; mais, après avoir reproduit fidèlement ces tableaux antiques, il y ajoute quelques traits qui ne viennent pas des mêmes sources et trahissent des temps plus jeunes. Il convient d’en parler avec un peu plus d’étendue que du reste : c’est la partie la plus neuve et la plus admirée du sixième livre.

Depuis que dans la Grèce et à Rome on avait pris goût à la philosophie, on mettait parmi les plaisirs les plus vifs l’étude de la nature et la découverte de ses lois ; cependant on s’apercevait aussi que la nature ne laisse pas facilement saisir ses secrets, et comme à mesure qu’on s’élevait l’horizon semblait toujours s’étendre, et que chaque question résolue ne faisait qu’augmenter le nombre des questions à résoudre, les esprits sincères qui se livraient à ces recherches éprouvaient plus d’impatience et de regret que d’orgueil