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un ensemble qui apparaisse, une ligne calme, une attitude simple, un centre qui attire le regard et qui domine le concert. Il en est de même de la couleur, qui est brutale, sans perspective, sans harmonie, sans distribution. Les divers plans, accusés avec une égale vigueur, entrent les uns dans les autres ; les couleurs sont disposées par bandes, par compartimens, et elles se heurtent sans s’unir. C’est de la coloration plutôt que de la peinture : on dirait une vaste tapisserie brodée par tranches de couleur.

Avec M. Puvis de Chavannes, nous allons du moins reposer nos yeux, d’autant plus que M. de Chavannes ne leur donne jamais une bien grande fatigue, ni par la richesse de sa composition, généralement plus clair-semée que touffue, ni par l’éclat de sa couleur, toujours discrète et tenue comme en sourdine dans les tons doux et clairs de la peinture murale. M. de Chavannes est, comme on sait, un peintre distingué, mais d’une espèce singulière : il est peintre de fresques sur toile, et il se plaît aux grandes compositions, aux savantes ordonnances, où les imperfections du détail s’effacent dans l’aspect général. Incapable d’exécuter une figure isolée, de lui donner le relief, la vie et la force, il sait agencer des groupes de figures, indiquer des silhouettes et des attitudes harmonieuses. Sans être un peintre au vrai sens du mot, il sait répandre sur ses toiles une coloration pâle et convenue, mais en général d’un sentiment juste, et où l’harmonie ne se dément guère, tant qu’elle reste dans cette gamme adoucie. En un mot, M. de Chavannes ne sait pas faire un tableau ; il sait ordonner une scène avec une certaine grandeur architecturale, et l’ébaucher en teinte plate avec assez d’exactitude pour en faire comprendre le sens.

C’est avec plaisir que nous le voyons revenir cette année au genre qui lui convient le mieux. L’Été est une vaste composition pastorale, analogue à celles qui lui ont valu jusqu’ici la plupart de ses succès. Dans une vaste campagne, où s’étend à l’infini le manteau doré des récoltes mûres, et que borne un horizon bleuâtre, une famille agricole primitive occupée à la moisson se rassemble, vers midi, autour d’une pièce d’eau située à l’ombre d’un bouquet d’arbres. On aperçoit au loin, sous le ciel bleu, au milieu de l’or des épis brillant au soleil, les moissonneurs qui lient les gerbes. Au premier plan, quelques figures à demi nues sont assises en cercle sur le gazon : une mère allaite son enfant, des bambins jouent avec un agneau ; plus loin, une jeune fille accroupie cueille des fleurs ; des jeunes gens se plongent dans la fontaine pour y rafraîchir leurs membres fatigués. De l’autre côté, un groupe de femmes, de vieillards, d’adolescens et d’enfans, tous à demi nus ou drapés à l’antique, s’arrête à la lisière du champ, la faucille à la main, et devise paisiblement, mêlé aux animaux domestiques qui le suivent avec