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comme il est homme d’esprit, et même au fond homme de goût, il y a réussi. On trouve du dessin, de la composition, de la grâce, et même un pittoresque de bon aloi dans cette vaste noce espagnole, que l’on s’étonne de voir tenir dans une si petite toile. La couleur, j’entends la couleur harmonieuse, est toujours absente, ou du moins elle est remplacée par une coloration brillante et assez propre, quoique franchement fausse. Au sortir du festin nuptial, les jeunes époux sont montés ensemble sur un cheval caparaçonné, et ils prennent congé de leurs amis. Le mari, à califourchon sur le devant de la selle, reçoit les poignées de main viriles de ses camarades, qui lui versent un dernier verre de vin ; la mariée, assise sur la croupe, adresse à ses compagnes endimanchées des adieux plus mélancoliques. De ce côté se dresse, sous un hangar, la table où le repas a été servi. Sur le banc placé le long de cette table s’aligne une rangée de coquettes espagnoles galamment vêtues. Tout au fond de la scène, deux hommes, deux véritables figures de contrebandiers, causent à l’écart. Un enfant debout sur la table regarde avec avidité le spectacle, tandis que le curé, encore attablé avec un de ses vieux paroissiens, et un chien attentif à recueillir quelque débris tombé de la table, ont l’air de ne prendre aucun souci de ce qui se passe. Tout cet ensemble est fort spirituel, ce qui ne nuit jamais à un tableau de genre. — La petite toile intitulée le Premier-né est peut-être d’un sentiment encore plus fin. L’enfant dort, posé sur un canapé, englouti sous un vaste couvre-pieds vert, la tête appuyée sur un coussin rose. Le père, assis au bout du canapé, croise les mains comme avec précaution et contemple son fils ; la jeune mère, d’un geste coquet et charmant, se lève sur la pointe des pieds, laissant tomber son ouvrage, et elle se penche vers le petit être, une main sur la hanche, l’autre appuyée sur sa poitrine avec inquiétude. Malheureusement cette grâce est pleine d’une mièvrerie qu’exagèrent encore les costumes du XVIIIe siècle. Quant à la couleur, sèche et d’une tonalité verte, elle ressemble à celle d’un émail ou d’une porcelaine.

En fait de tableautins costumés, l’Antichambre du prince de la Paix, et surtout la Ronde du saint-office de M. Melida, nous font presque autant de plaisir. Ces toiles rappellent un peu la manière de Fortuni et de Zamacoïs. Ces Espagnols ont toujours le sens pittoresque et une certaine fierté d’allures ; mais ils ne font plus guère que de l’esprit, comme nos Français. L’Antichambre du prince de la Paix représente plusieurs échantillons de solliciteurs assis en rond sur les banquettes, et fait songer à certaines toiles analogues et fort supérieures de M. Heilbuth. La Ronde du saint-office est plus ferme de touche, plus étudiée ; elle a ce coloris à la fois fort et fin