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s’était trouvé de prévenir d’abord, d’arrêter ensuite l’effusion du sang. Quant aux hommes héroïques qui, suivant l’expression du drogman Constantin, « avaient osé mettre le feu à la ville et sortir en combattant, » ils ne venaient de passer sur le ventre aux Turcs que pour aller tomber dans une embuscade. Reschid, dès qu’ils eurent dépassé les tranchées, lança sa cavalerie à leur poursuite, A un mille environ des lignes ottomanes, ils essuyèrent une charge qui les dispersa. Ils s’étaient cependant ralliés sur les premières croupes du mont Zyrgos ; les inégalités du terrain commençaient à favoriser leur retraite, quand, au lieu du secours promis, ils virent surgir du milieu des broussailles les longs fusils des soldats albanais. Il suffit d’une volée de mousqueterie pour porter de nouveau le désordre dans cette troupe surprise. Des femmes, empruntant le costume des guerriers souliotes, des enfans portant de lourds pistolets chargés à la ceinture, s’étaient courageusement mêlés à la sortie. Ce furent les premières victimes que l’effroi, l’épuisement, la fatigue, livrèrent aux Turcs. Longtemps les débris d’une garnison qui avait compté près de 5,000 hommes errèrent dans la montagne, mêlés aux troupes de Karaïskaki ; quand ils atteignirent la baie de Salone, ils auraient à peine réuni 1,300 combattans.

Pendant que Missolonghi, « abandonnée par les flottes de Spezzia et d’Hydra, » succombait aux angoisses de la faim ; pendant que les assiégés faisaient sur les lignes turques « leur attaque de lions, » les députés des autres parties de la Grèce, assemblés de nouveau à Épidaure, discutaient des projets de constitution. « Croyaient-ils donc, — j’emprunte encore ici le langage de l’amiral de Rigny, — que le moment fût heureusement choisi pour proclamer une monarchie constitutionnelle, une régence, une pairie héréditaire ou à vie, pour décréter des phalanges macédoniennes ou thébaines ? Toutes ces parodies, ajoutait cet observateur si sagace, peuvent trouver place dans certaines correspondances, crédit dans certains journaux ; pour la Grèce, ce n’est pas de tel ou tel mode de gouvernement qu’il s’agit ; il faut avant tout savoir si elle existera. » La place de Missolonghi était à peine conquise qu’Ibrahim, se séparant de Reschid, rentrait en Morée par Patras, laissait dans cette ville une garnison, renforçait celle de Tripolitza, qu’il portait à 2,500 hommes, et, après avoir envoyé quelques détachemens pour ruiner les récoltes dans la plaine de Sparte, revenait sur ses magasins à Modon. De son côté, Reschid marchait de Missolonghi sur Salone et se disposait à envahir l’Attique. La flotte du capitan-pacha reprenait le chemin des Dardanelles ; la flotte d’Ibrahim se partageait en deux divisions : l’une allait chercher à Alexandrie des vivres, des munitions, 2,000 hommes qui devaient couvrir l’armée