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de la résistance, c’était tout ce que demandait, ce qu’avait prédit M. de Bismarck, — qu’il fallait dès lors rester un gouvernement d’opinion, d’autorité morale, sachant se servir de la partie saine de la population, neutralisant, désarmant au besoin ipar quelques concessions ou par des discours les agitateurs. De là des transactions, des négociations dont la plus curieuse assurément est celle qui s’engageait un instant entre le gouverneur et un personnage des plus bizarres, révolutionnaire par ambition et par vanité, cerveau détraqué, sorte d’aventurier théâtral de la démagogie, Gustave Flourens en un mot. Flourens, qui avait réuni quatre ou cinq bataillons de Belleville, voulait absolument être colonel ; « le général Trochu mettait sa bonhomie et son éloquence à lui prouver qu’il n’y avait pas de colonel dans la garde nationale. Le « héros de Belleville » ne se tenait pas pour battu et revenait bientôt à la charge, c’est-à-dire à la poursuite de ses galons ; pour en finir, le gouverneur imaginait de lui donner un titre de fantaisie, celui de « major de rempart. » Flourens suivait son idée, quelques jours plus tard on apprenait que « de major de rempart il s’était fait colonel et voulait être commandant en chef. » Ici il fallait bien l’arrêter ; le difficile était seulement d’aller le chercher dans sa forteresse de Belleville.

Que le général Trochu se plût un peu trop à jouer avec la foudre et poussât un peu loin son goût pour la politique de la « forme morale, » c’est bien évident. Il se croyait le Lamartine du moment, et il le disait avec une certaine naïveté. Il y avait aussi des heures où le gouverneur arrivait au conseil de l’Hôtel de Ville assez dégoûté, déclarant qu’il ne pouvait faire face aux combinaisons, aux fatigues militaires, et se voir chaque jour exposé à des secousses intérieures qui rendaient toute défense impraticable. Le danger du système en effet, c’était que la défense restait subordonnée à ces « secousses intérieures, » et que, dans tout ce qu’il faisait, le général Trochu avait toujours l’œil fixé sur les fluctuations de l’opinion. Un autre inconvénient qui n’avait pas moins de gravité, c’était qu’on risquait d’encourager les fauteurs de sédition et de troubles, de laisser sans direction la masse fidèle de la population. Tant qu’aucune crise sérieuse ne se présentait ou que la situation restait assez nette pour qu’on vît clairement le péril et le devoir, on n’avait pas sans doute à craindre une catastrophe intérieure. Le bon sens et le patriotisme de la majorité de Paris l’emportaient sur tout et réduisaient à l’impuissance les organisateurs de mouvemens révolutionnaires. Aux premières manifestations tentées pour demander la commune, le 5, le 8 octobre, il n’y avait eu qu’un signal à donner pour que des bataillons dévoués de la garde nationale accourussent à l’Hôtel de