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des naufrages. Un maladroit capitaine vint nuitamment s’y briser avec 500 coulies qu’il transportait au Pérou. Comprenant tout de suite qu’il ne lui reste aucune possibilité de sauver sa cargaison, il réunit l’équipage, et lui ordonne de mettre sans bruit les petites embarcations à la mer. Cette opération terminée, le capitaine fait embarquer ses hommes, s’embarque lui-même et abandonne à leur sort les cinq cents Chinois, qui, réveillés en sursaut par les chocs répétés du navire contre les roches, poussaient déjà du fond des entre-ponts où ils étaient couchés des cris d’épouvante. Inutile de dire que le prudent capitaine avait fait clouer solidement par le charpentier les écoutilles. Lorsqu’il n’y a pas grosse mer, les Paracelses offrent en quelques endroits une surface plane, émergeant au-dessus de l’eau de quelques centimètres; si le vent ne soufflait jamais en tempête, on pourrait y rester sans danger, et y vivre même quelques jours en ne se nourrissant, bien entendu, que de coquillages et de tortues de mer. Les coulies qu’on avait laissés enfermés dans le navire naufragé purent-ils s’en évader, gagner un terrain ferme, et s’y maintenir pendant une série de beaux jours, attendant avec une terrible angoisse un secours providentiel? Nul ne le sait, car pas un des cinq cents infortunés émigrans n’échappa à la mort. Aussitôt que le capitaine fut arrivé sain et sauf avec son équipage à Hong-kong, les autorités anglaises envoyèrent sur le lieu du sinistre le plus rapide bateau à vapeur qu’il y eût en rade; mais ceux qui le montaient ne virent en approchant avec précaution des récifs qu’une portion de mer houleuse et blanche d’écume. Les lames balayaient constamment les Paracelses, et il n’eût été possible à aucun être humain de s’y maintenir. Le bâtiment abandonné avait dû être broyé, et les passagers, en admettant qu’ils eussent pu un instant toucher terre, durent peu à peu être entraînés en grappes vivantes vers la haute mer.


II.

Au Pérou, pas plus qu’aux Antilles espagnoles, les gouvernemens péruvien et espagnol n’interviennent jamais dans les transactions qui peuvent se faire entre les maisons d’émigration de Macao et les maisons qui reçoivent les coulies au Callao ou à La Havane. Si le gouvernement péruvien a besoin de travailleurs asiatiques pour l’homicide exploitation de ses guanos, il loue les coulies comme le ferait n’importe quel planteur.

Lorsque les émigrans chinois, un peu endoloris de leur longue traversée, sont débarqués, s’ils sont tout d’abord enchantés de sentir la terre sous leurs pieds, le souci de savoir à qui ils vont appartenir pendant six années consécutives les rappelle bientôt à la triste