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survient la répression inévitable. De l’excès naît comme toujours la réaction, et les esprits réfléchis ne peuvent se défendre d’une indéfinissable tristesse en voyant combien certaines idées, certains principes, qu’on croyait acquis définitivement, sont exposés à être remis en doute, comment même, dans ce violent tumulte des partis extrêmes, on en vient aisément de tous côtés à désapprendre les plus simples notions de liberté.

Il y a, pour un gouvernement qui veut être réellement conservateur, quelque chose de mieux à faire aujourd’hui que de se perdre dans cette mêlée de passions contraires et également aveugles. Son vrai rôle est de maintenir la politique de la France, à l’intérieur comme à l’extérieur, dans les conditions de modération où elle peut seulement être efficace, de résister au radicalisme et au cléricalisme. Le gouvernement est dans une situation étrange où il a autant à redouter de ceux qui l’entraîneraient, s’ils pouvaient, à des excès de réaction que de ceux qui l’appellent un « spectre de l’ancien régime. » Allons, avouez votre pensée, lui disent les radicaux, vous voulez porter la main sur la liberté de conscience. — « Nous l’entendons bien ainsi ! » répondent les cléricaux de l’assemblée. D’un autre côté, suivez ce petit dialogue engagé depuis quelques jours. — Le gouvernement, disent les radicaux, n’attend que le moment de témoigner son dévoûment pour le pouvoir temporel, il vient de protester à Rome contre la loi des couvens ! — Mais certainement, reprennent les cléricaux, M. le duc de Broglie a protesté ; c’est une pierre d’attente pour l’avenir. — Il n’en est rien, seulement on espère ainsi compromettre le ministère dans des entreprises contre la liberté religieuse ou dans des démarches dangereuses en Italie. Le gouvernement voit sans doute le danger, et il y échappera s’il peut. Non, M. le duc de Broglie n’a envoyé aucune protestation à Rome. Il suit en Italie la politique qu’on suivait avant lui. Il maintient les bonnes relations qui existent entre les deux pays et qui ne changeront certainement pas avec le nouveau ministère qui se forme en ce moment à Rome à la suite de la démission du cabinet Lanza. Quel que soit le nouveau ministère italien, il n’aura pas sûrement d’autre programme qu’une politique de bonne amitié avec la France.

L’Espagne a certes passé depuis quarante ans par bien des tourmentes révolutionnaires. Au moins ces périodes de fièvre et d’agitation avaient-elles pour ainsi dire un caractère limité, une durée presque déterminée d’avance. Les élémens d’ordre un instant confondus ne tardaient pas à reprendre leur équilibre dans des conditions où l’organisation générale n’était que partiellement atteinte, où certaines garanties essentielles subsistaient encore. Les crises d’aujourd’hui ont un tel caractère et se succèdent avec une telle rapidité, elles accumulent d’heure en heure dans cet infortuné pays de telles complications, de telles confusions, que l’Espagne elle-même en vient à ne plus se reconnaître, à se demander si elle a un gouvernement, des ministres, une force publique,