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extrêmes au nord-est, confisquant au centre pour leur fisc royal un grand nombre de domaines qu’ensuite ils se distribuaient entre eux, sanctionnant à l’est et au sud le partage légal en vertu duquel les hôtes visigoths et burgundes avaient dépouillé les hôtes romains des deux tiers des propriétés foncières, s’il est vrai que le wehrgeld des Romains ait été, suivant les lois salique et ripuaire, inférieur non-seulement à celui des Francs, mais même à celui des autres Germains vaincus par eux, si le fardeau de l’impôt, dans quelques-uns au moins des nouveaux royaumes, n’a pesé que sur les anciens sujets, il faut voir là les signes d’une certaine infériorité sociale que d’autres influences pourront venir redresser, mais qui décèle bien les suites d’une conquête. Les Gallo-Romains toutefois, dans l’état de société qui suit l’arrivée des barbares en Gaule, n’apparaissent pas, à coup sûr, comme un peuple vraiment asservi. Ils font partie des armées avec les Francs; ils conservent dans les villes l’administration municipale et l’usage de leur propre droit; beaucoup de ceux qui occupaient avant la conquête les premiers rangs de la hiérarchie sociale restent en faveur auprès des nouveaux souverains, avec leurs richesses et leurs anciennes dignités : la loi salique les fait figurer sous le titre de convives du roi presque au même rang que les antrustions barbares. Il n’en est pas moins vrai qu’à côté de cette civilisation romaine subsistante se juxtaposent les élémens de la civilisation germanique. On veut, avec Dubos, conclure du crédit laissé aux Romains qu’il n’y a pas eu de conquête; nous en concluons avec Montesquieu que l’invasion et l’établissement des Germains se sont montrés, surtout en Gaule, conciliables avec les plus pressans intérêts de la civilisation. L’histoire connaît plusieurs sortes de conquête. Il y a celle des hordes sauvages, qui consiste purement dans le pillage et le massacre et ne sert pas même aux vainqueurs. Il y a celle qui substitue violemment à des tribus faibles et sans défense une race ambitieuse et énergique. Il y a celle enfin qui met aux prises, non sans espoir de profit pour la cause générale, une grande nation vieillie, mais riche d’expérience, avec des peuples jeunes, en progrès eux-mêmes, encore intempérans et rudes, non pas indisciplinables. Il serait mal à propos de confondre avec les sanglantes et stériles expéditions des Attila et des Gengis-Khan, ou bien avec le cruel triomphe de la race anglo-saxonne sur les malheureuses tribus de l’Amérique du Nord, l’invasion germanique du Ve siècle. Elle a certes provoqué de terribles violences et entraîné de cruelles défaites; mais elle n’a été ni pour les vaincus ni pour les vainqueurs uniquement une dévastation et un fléau. Les Germains avaient assez longtemps entendu parler de l’empire, ils avaient pendant un assez grand nombre d’années erré sur ses frontières ou servi même à travers ses provinces auprès de ses légions pour admirer de quelle