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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/32

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étaient maîtresses d’Asnières, elles n’ont point songé à prendre cette route souterraine pour s’introduire au cœur de la place qui les attendait.

Lorsqu’elles eurent vaincu l’insurrection la plus sacrilège et la mieux armée que l’on ait jamais vue, lorsqu’en présence des Allemands campés aux portes de Paris nos soldats eurent abattu le drapeau rouge qui maculait nos édifices comme une tache de sang, on visita attentivement les égouts. La légende populaire, immédiatement formée, affirmait que des bandes d’insurgés s’y étaient réfugiées, et qu’on s’y livrait des combats à outrance. Ceci est une fable qui ne mérite même pas qu’on s’y arrête; on n’y trouva personne, mais en revanche on y découvrit un arsenal complet. Les bouches d’égout avaient reçu les armes de ceux qui fuyaient et qui ne se souciaient point de pousser l’aventure jusqu’au dénoûment. En outre, pendant le règne de la commune, lorsque les visites domiciliaires commencèrent, bien des honnêtes gens demeurant à Paris et possédant quelque fusil, reçu ou acheté pour lutter contre les bataillons de la Prusse, craignirent d’être inquiétés, arrêtés, et se débarrassèrent comme ils purent des engins de guerre dont ils étaient détenteurs. Ils eurent recours à l’égout voisin. Pendant la bataille, la plupart de ceux qui évacuaient une barricade glissaient leurs fusils et lançaient leurs munitions par les regards dont ils avaient soulevé les tampons. J’ai assisté à une retraite de fédérés, et j’ai compris plus tard pourquoi je les avais presque tous vus se baisser au même endroit, le long d’un trottoir où s’ouvrait l’embouchure d’une chute. On visita les banquettes, on cura les cunettes, et au milieu des dépôts vaseux, on ramassa une quantité énorme d’armes, de cartouches, de képis, de ceintures rouges. Toutes ces épaves de nos discordes civiles furent réunies dans la chambre du siphon de l’Alma, sur la rive gauche, et l’on put en charger six chariots du train des équipages, attelés chacun de six chevaux, qui les versèrent au musée d’artillerie. On les avait trouvées dans deux cent quarante-trois galeries; à lire les noms de celles-ci, on comprend sans peine que l’insurrection embrassait la ville entière, et que le combat ne fut épargné à aucun quartier ; le centre et les extrémités ont été agités des mêmes convulsions.

Pour soigner les égouts et en surveiller l’entretien, on a calculé qu’il fallait un homme par kilomètre; cette moyenne n’est pas observée aujourd’hui, car la ville de Paris, malgré son énorme budget, qui pour 1873 est de 328,315,582 fr.[1], est obligée de faire des économies; le personnel des égoutiers est donc réduit, et se compose actuellement d’un petit corps d’armée de 627 hommes divisés

  1. Budget ordinaire : 197,815,582 fr.; budget spécial : 130,500,000 francs.