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nale chez les Germains était à la fois un tribunal et une réunion politique. Elle choisissait dans ses rangs des chefs chargés d’aller rendre la justice dans les cantons et villages, et chacun de ces magistrats suprêmes était accompagné d’un certain nombre d’habitans de la centurie ou du hundred ; ils lui apportaient ensemble, dit l’historien romain, l’appui et la garantie de leur propre sentence, consilium et auctoritas. Est-il donc téméraire d’apercevoir ici un double élément juridique, tel que le comporte la distinction du point de fait et du point de droit? Les Germains pratiquaient un démembrement de nature non pas identique, mais analogue, quand ils partageaient les délibérations politiques entre une petite et une grande assemblée. Lorsque ensuite les lois barbares, la loi salique et la loi ripuaire, désignent les rachimbourgs, qui rendent un verdict, veritatem dicunt, et les scabins, qui prononcent au nom de la loi, legem dicunt ; n’a-t-on pas encore certaines traces du jugement par jury? Toutefois l’institution s’est développée dans sa forme la plus complète et la plus expresse en Grande-Bretagne, et c’est de là qu’au commencement de notre siècle les autres peuples de l’Europe, après en avoir connu d’incomplètes ébauches, l’ont empruntée. Or, depuis quand et par qui l’Angleterre elle-même avait-elle commencé de la connaître?

Les lois d’Ethelrel, à la fin du IXe siècle, lorsqu’elles signalent le serment des douze citoyens chargés, avec le magistrat à leur tête, de rendre la justice, font certainement allusion à une sorte de jury. On a beaucoup discuté pour savoir si elles mentionnent ainsi une institution purement anglo-saxonne ou valable seulement pour la portion du royaume occupée par les Danois. Peu nous importe : il nous suffit que le jury y apparaît comme une importation des hommes du nord. Aussi le trouvons-nous dans les monumens législatifs des peuples scandinaves, qui nous conservent, purs du mélange classique ou chrétien, certains traits de la civilisation antégermanique, particulièrement sans doute celui-là. On peut lire dans la saga de Nial, dont les indications sont confirmées par le Gragas, tout le récit d’une cause criminelle devant l’Althing islandais. On y voit paraître d’abord les témoins que prend chaque partie pour constater et rappeler aux yeux de tous les diverses opérations légales régulièrement accomplies. Viennent, ensuite les quidr[1], sorte de témoins aussi, choisis par l’une et l’autre partie entre leurs pairs et dans le voisinage (de vicineto), assignés pour venir déposer ou dire leur avis sur la culpabilité du prévenu. Ils n’arrêtent pas leur opinion d’après un débat contradictoire et sur l’audi-

  1. Du mot queda, dire, qu’on retrouve dans le vieil anglais quoth he, dit-il.