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C’est un animal féroce dans toute la force du terme; il tient facilement tête au chat et le tue. Le rat tend à disparaître aujourd’hui de nos égouts; on ne le rencontre plus que dans de vieilles galeries en meulières, en moellons, où il a pu se creuser une tanière; l’enduit de ciment lisse et inattaquable qui revêt les nouveaux égouts l’en a chassé, car il ne peut trouver à s’y loger; il habite surtout la voie publique, dans les resserres des halles, des marchés, aux abattoirs, dans les gargouilles faisant suite « au dauphin » des maisons particulières, dans les ateliers d’équarrissage et aux voiries de Bondy, C’est un nouveau-venu parmi nous; il a envahi la France dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Pallas fixe la date de l’entrée du rat en Europe; il pénétra à Samara dans l’été de 1766. C’était une émigration déterminée sans doute par une chaleur excessive, et qui venait de ces steppes kirghises qu’on appelle Kara-Kum, les sables noirs. Les hordes traversèrent le Volga à la nage, et, malgré la grande quantité qui dut y périr, s’emparèrent de l’Europe, qu’elles ne tardèrent pas à couvrir, grâce à leur désespérante fécondité. Parvenus en France, les rats tartares commencèrent par mettre à mort et par dévorer tous les rats qu’ils rencontrèrent; ils firent si bien leur besogne que ceux-ci ont disparu. C’est une invasion qui succédait à une autre, car notre rat domestique n’était point autochthone; il nous était arrivé vers le XIIe siècle, fort probablement d’Asie, par des navires croisés revenant de Palestine. L’Europe antique n’a connu que la souris, le ridiculus mus dont parle le poète. Le rat d’égout actuel est le surmulot; il a passé la Manche, il ravage l’Angleterre, qui le nomme le rat allemand; il y tue le rat breton. D’après la tradition, il a été apporté dans les îles britanniques par le vaisseau qui amenait le chef de la dynastie de Hanovre[1]. Espérons que cette invasion sera la dernière, et que nous n’aurons pas un jour à lutter contre le rat hindou, ce rat géant qui a un pied de long, mange les volailles et combat les chiens; heureusement qu’il est un gibier fort estimé, et que les chasseurs des bords du Gange lui font une guerre à outrance.


III.

Par les deux grands collecteurs qui se déversent à Asnières et à Saint-Denis, la Seine parisienne a été purgée de toutes les immondices dont elle était souillée; aujourd’hui elle ne reçoit plus que les égouts insignifians de la Cité et de l’île Saint-Louis. On l’a donc débarrassée pendant son trajet au milieu de la ville, tout en lui de-

  1. Voyez, dans la Revue du 15 février 1858, l’Angleterre et la vie anglaise, par M. Alphonse Esquiros.