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moyen âge et des Merveilles de la terre du prestre Jean, C’est une promenade vertigineuse à travers le chaos; on entend fermenter tous les germes de la création, et, bien que les ténèbres de cette cosmogonie soient aussi épaisses que celles dont Moïse a enveloppé sa révélation, on peut cependant y démêler l’idée antique de l’unité de la matière et de l’identité de. tous les êtres. Du moment, où les êtres sont identiques, il est tout naturel qu’ils soient contemporains les uns des autres, et M. de Perthes s’est dit : Puisqu’il y avait des mastodontes, des lézards de 50 mètres, des chauves-souris grosses comme des bœufs avant la submersion diluvienne du globe, il est tout simple qu’il y ait eu aussi des hommes[1]. Il est parti de là pour se mettre à la recherche de l’homme antédiluvien, et à force de le chercher il a cru l’avoir trouvé.

Ici nous touchons à une question très délicate, puisqu’il s’agit pour nous de contredire les affirmations d’un homme excellent, qui ne fit que du bien pendant son passage sur cette terre, et qui, sur quelques-uns des points essentiels de ses recherches, a été dupe de ses propres illusions et surtout des mensonges intéressés d’une foule d’individus qui exploitaient sa bienveillance en lui apportant des objets sur la provenance desquels ils le trompaient indignement. Il faut donc, dans l’œuvre archéologique et géologique de M. de Perthes, faire deux parts distinctes, comme dans sa personne, parce que dans ses découvertes il y a un côté légendaire qui a égaré la science, et un côté positif, indiscutable, qui en a largement agrandi les horizons. Occupons-nous d’abord du côté légendaire.

Il existe dans l’un des faubourgs d’Abbeville, le faubourg de Manchecourt, des sablonnières placées à la base des coteaux crayeux qui bordent la vallée de Somme, et dans lesquelles depuis longues années on découvre des ossemens fossiles;[2], Un savant naturaliste, M. Baillon, correspondant du Muséum, a suivi pendant plus de quarante ans les travaux d’extraction : jamais dans ce long espace de temps on n’y a trouvé à côté des ossemens aucune hache, aucun objet de l’âge de pierre portant les traces du travail de l’homme. Les propriétaires ont constaté le même fait; mais un jour M. de Perthes dit aux ouvriers : « Si vous trouvez des haches de pierre dans la sablonnière ou des cailloux travaillés, vous me les apporterez; je vous les paierai bien. » On savait. M. de Perthes

  1. Pour avoir une idée exacte de l’esprit ondoyant et divers de M. de Perthes, il faut lire la liste des productions multipliés qui sont sorties de sa plume. Les polygraphes les plus féconds du XVIe siècle eux-mêmes n’ont jamais embrassé une semblable variété de sujets.
  2. C’est là qu’a été trouvée la belle tête de rhinocéros à narines cloisonnées qui se voit aujourd’hui au Muséum d’histoire naturelle dans la galerie géologiques.