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par le pied des arbres dont les branches étaient chargées de nobles et de bourgeois, comme pour montrer que, si haut qu’on fût placé, il fallait tomber sous ses coups. La fresque de Saint-Riquier est une page curieuse de ce grand poème de la danse macabre, que l’on pourrait appeler la Divine Comédie de la renaissance.

L’art moderne a aussi une belle et large part dans l’église de Saint-Riquier. Cette église étant celle de l’abbaye, l’un des abbés commendataires, M. d’Aligre, parent du chancelier Étienne d’Aligre, l’un des plus honnêtes hommes de la robe, voulut consacrer les revenus que lui procurait son bénéfice ainsi qu’une partie de sa grande fortune, à l’embellissement du sanctuaire dont la garde lui était confiée. Il s’adressa aux plus célèbres artistes de son temps : au sculpteur Girardon, aux peintres Jean Jouvenet, Antoine Coypel, Claude Guy-Hallé, Bon et Louis Boullogne ; tous répondirent à son généreux appel. Girardon sculpta un Christ en bois plus grand que nature ; Bon Boullogne peignit Saint Angilbert recevant l’habit de Saint-Benoît, Louis Boulogne l’Annonciation, Antoine Coypel le Baptême de Jésus-Christ, Claude Hallé Notre-Seigneur donnant les clés à saint Pierre, et Jouvenet Louis XIV touchant les écrouelles[1]. Le Christ de Girardon, l’une des plus belles œuvres de la sculpture moderne, orne encore aujourd’hui le dessus du maître-autel, et les cinq toiles magistrales suspendues aux murailles des chapelles forment comme un musée inconnu que le respect des habitans a sauvé du vandalisme révolutionnaire, mais qu’il ne défend pas contre l’humidité, qui menace de le faire disparaître.


IV. — COMBAT DE LONGPRÉ-LES-CORPS-SAINTS. — LA CHASSE AUX UHLANS. — LE CURÉ D’AIRAINES.

La prise d’Amiens, le 28 décembre 1870, avait livré jusque sous les remparts d’Abbeville la vallée de la Somme aux Allemands, qui réquisitionnaient les localités situées entre ces deux villes. Les habitans de Longpré-les-Corps-Saints[2], village de 2,000 âmes, sur la rive gauche, à 15 kilomètres d’Abbeville, avaient plusieurs fois reçu leur visite et souffert de leurs déprédations ; ils résolurent de se venger, et, comme ils disaient, de s’amuser sur les uhlans en attendant mieux. Ils sont tous chasseurs, un peu braconniers même et tireurs fort habiles. Ils se mirent en campagne, fondirent leurs cuillers

  1. On remarque en outre dans l’église de Saint-Riquier un Saint André de Lépidié, un Saint Benoît à Subiaco, très belle toile de Paillet, de l’Académie de peinture, et un tableau de Ducornet, le peintre sans bras.
  2. Longpré-les-Corps-Saints est ainsi nommé à cause des reliques que le seigneur du lieu, Aliaume de Fontaine, avait rapportées des croisades. Quelques-unes de ces reliques sont à Longpré avec des reliquaires du XIIe siècle.