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pour canarder de plus près l’ennemi. La fusillade dura près de deux heures, mais comme la lutte ne pouvait aboutir, le commandant donna le signal de la retraite, qui se fit en bon ordre, sous le feu le plus violent. Cette escarmouche nous coûta un mort et deux blessés. L’ennemi, deux fois surpris par des décharges meurtrières, perdit une quarantaine d’hommes, et il en aurait perdu bien davantage, si les gens du pays avaient eu des armes d’une plus longue portée.

Le lendemain, à onze heures, le bruit se répandit que les Prussiens marchaient sur Longpré. Si faibles qu’elles fussent numériquement, les troupes françaises, aidées de la population, auraient pu donner à l’ennemi une rude leçon, si les moindres mesures avaient été prises. Il suffisait d’occuper solidement le château et son enceinte, situés dans une position dominante, de barricader les rues, de créneler quelques maisons faisant tête de ligne, et surtout de se garder, pour savoir au moins de quel côté viendrait l’ennemi; mais rien n’avait été fait, aucun ordre général n’avait été donné, et vers une heure 2,500 hommes environ, commandés par le colonel Pestel du 7e uhlans, cernaient le village à l’improviste et l’attaquaient de trois côtés à la fois. Le château, défendu seulement par quelques hommes, fut enlevé sans coup férir; un certain nombre de mobiles détachés dans la campagne se trouvèrent coupés et durent se replier dans la direction d’Abbeville, les autres se réunirent un peu au hasard autour de leurs officiers. Les habitans prirent leurs fusils de chasse, et la lutte, une lutte désespérée, s’engagea de nouveau pour arrêter le mouvement concentrique des Prussiens. Ceux-ci, contrairement à leur habitude, n’avaient point amené d’artillerie, car ils étaient loin de s’attendre à la résistance qu’ils allaient rencontrer. Malgré l’infériorité de l’armement, on n’avait pas à craindre d’être écrasé à distance sans pouvoir répondre; on allait se voir de près, et l’on reconnut vite à l’extrême circonspection de l’ennemi qu’il se sentait privé de son plus puissant moyen d’action.

Il y eut parmi les mobiles quelques défaillances; mais la plupart, malgré l’écrasante supériorité numérique des assaillans, donnèrent, ainsi que leurs officiers, de grandes preuves de courage. Disséminés par petits groupes dans toutes les rues du village, abrités derrière des haies, embusqués dans les maisons, les encoignures des portes, le tournant des rues, ils disputèrent le terrain pied à pied, et trouvèrent partout à côté d’eux les habitans, qui étaient comme enragés, et auraient brûlé leur village plutôt que de se rendre. Il faut les avoir entendus raconter eux-mêmes, simplement, sans forfanterie et comme on raconterait une partie de chasse, les péripéties de la