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que la population s’accroît sans cesse malgré l’aridité du sol et le manque d’eau douce, qu’on est obligé de se procurer par la distillation de l’eau salée.

On brûla beaucoup de poudre dans les grandes guerres du XVe siècle, et la récolte du salpêtre devint dès lors un métier lucratif. Un édit de 1540 vient régler cette industrie en France en instituant des « salpêtriers commissionnés, » et à partir de cette époque chaque guerre nouvelle est l’occasion de nouveaux règlemens qui ont pour but de remettre en vigueur les onéreux privilégies des salpêtriers. Ces derniers avaient la haute main sur les terres et matériaux nitreux des écuries, bergeries, étables, caves, celliers, colombiers, et sur les plâtras des démolitions : ils avaient le droit de pratiquer « la fouille » à la condition de respecter les fondations des bâtimens. Les communes devaient leur fournir le bois pour leur travail, parfois le logement et les voitures pour le transport de leur marchandise, sans compter une foule d’autres privilèges, droits et exemptions, qui variaient d’une province à l’autre et qui étaient une source éternelle d’abus et de plaintes. Leur visite avait lieu tous les trois ans. En retour, le gouvernement fixait les prix auxquels il prenait livraison du salpêtre. Au temps de Louis XIII, la récolte du salpêtre s’élevait pour la France entière à 3 millions 1/2 de livres ; l’importation du salpêtre de l’Inde fit baisser cette industrie en même temps que le progrès des mœurs obligeait le gouvernement à en restreindre les privilèges vexatoires. C’est de plus en plus « un métier de gagne-petit ; » on est obligé de perfectionner les procédés d’extraction trop sommaires, d’utiliser tous les résidus pour ne point se trouver en perte.

On commence alors à introduire les nitrières artificielles, déjà en usage dans l’Allemagne du nord. Ce sont de vastes hangars où l’on dispose, à l’abri de la pluie, une terre meuble mélangée de plâtras, de toute sorte de débris organiques et de paille ou de branchages qui facilitent la circulation de l’air ; on remue de temps en temps, et l’on arrose avec du purin pour accélérer la nitrification. L’oxydation lente des principes azotés au contact de l’air dans la terre ainsi préparée fournit des nitrates en grande abondance : les matériaux sont lessivés chaque année, et on n’a besoin de les renouveler qu’au bout de dix ans. On ne tarda pas d’ailleurs à découvrir qu’il existe en France des terrains calcaires naturellement fertiles en salpêtre, et qui n’ont pas besoin d’être ainsi fumés ; tels sont les calcaires de la Roche-Guyon, les tufeaux de Touraine et de Saintonge. Malgré tout, les salpêtriers ne luttaient contre l’importation que grâce à leurs privilèges ; mais ces privilèges étaient contraires à l’esprit du temps, et on allait les abolir en 1792, quand la guerre, écla-