Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/449

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
I.

Lorsqu’à Eisenach les membres de la réunion se trouvèrent au complet, ils étaient cent cinquante environ, professeurs, députés du Reichstag, publicistes et fonctionnaires. De ce nombre, quelques noms se détachent ; parmi les professeurs, MM. Wagner de Berlin, Schmoller et Mayer de Halle, Held de Bonn, Grosler de Rostock, Friederich d’Eisenach, Brentano, Hildebrand, — parmi les députés du Reichstag, MM. Von Wedel, Sombart et Eberty, — parmi les fonctionnaires, M. Engel, conseiller privé et chef du bureau de la statistique, — parmi les publicistes, MM. Max Hirsch et Franz Duncker. Un membre du Reichstag, M. Gneist, avait été nommé président; quelques secrétaires lui étaient adjoints, et dans le nombre les plus jeunes et les plus intelligens d’entre les industriels qui faisaient partie de la conférence. Somme toute, ni les lumières, ni une certaine indépendance, ne manquaient à ces savans, et dans son discours d’ouverture le professeur Schmoller ne manqua pas d’indiquer dans le sens de quelles doctrines cette indépendance allait s’exercer. Emporté d’un beau zèle, à qui s’en prit il? A l’école de Manchester, c’est-à-dire à la plus large expression de la liberté; mais il faut citer ses paroles. « La lutte, dit-il, aujourd’hui engagée entre le capital et le travail, le danger encore lointain et cependant manifeste d’une révolution sociale, a depuis quelques années ébranlé dans bien des esprits la confiance trop absolue qu’on accordait aux idées économiques de l’école de Manchester. » Voilà une exécution sommaire dont ni Adam Smith, ni Jean-Baptiste Say, ne se relèveront. Détruire, soit; mais alors que fonder? La conférence d’Eisenach n’est point à court, et dit carrément leur fait aux gens de Manchester et à leurs pareils. A. la liberté de l’Angleterre, elle préfère la discipline de la Prusse. Écoutez. « Les organisateurs de la conférence, ajoute le discours d’ouverture, ne veulent ni mettre sur un piédestal le droit individuel, ni faire de l’état une puissance tyrannique dévorant tout; au lieu de considérer l’état comme un mal nécessaire, ils le regardent comme un instrument moralisateur, comme un pouvoir bienfaisant destiné à intervenir dans cette guerre des classes où l’égoïsme se donne libre carrière sous nos yeux. L’état, dans son propre intérêt, dans l’intérêt général, doit protéger les faibles contre les forts. »

Voilà bien, dans toute sa candeur, l’économie politique allemande : l’état arbitre dans la guerre des classes et protégeant les faibles contre les forts. Croirait-on que de telles professions de foi aient exposé les hommes qui les débitent si résolument à des soup-