Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/45

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prolonge jusqu’à la pointe du Hourdel[1]. À l’extrémité de ce banc s’ouvre l’échancrure de la baie, vaste plaine de sable à marée basse, vaste nappe d’eau à marée hauts. Au nord, sur la rive droite, s’élèvent, couvrant un espace de 3,000 hectares, les dunes de Saint-Quentin et du fort Mahon. « Les falaises, a dit ici même M. Baude dans ses Études sur les côtes de la Manche[2], sont pour les habitans du plateau un long précipice au bord duquel s’étendent des moissons. Aucune ondulation de terrain n’avertit de leur voisinage ; tout à coup l’abîme se découvre, et cet abîme c’est l’océan. » Dans les tempêtes, les vagues se brisent au pied des falaises avec une telle violence que l’écume retombe en pluie fine et salée à plusieurs centaines de mètres dans les champs qui s’étendent sur leur sommet. Chaque flot qui vient heurter ce rempart crayeux en emporte une parcelle, et quand la base est minée, des blocs de terre marneuse et de silex s’en détachent et roulent sur la grève. La mer poursuit d’année en année son œuvre de destruction, et depuis deux siècles elle a fait disparaître, par des éboulemens périodiques, la moitié d’un ancien port de pêche, le bourg d’Ault, imprudemment bâti, sur un sol toujours croulant.

Sur la rive droite, ce sont non plus des falaises, mais des dunes, c’est-à-dire des monticules de sable séparés entre eux par des ravins étroits ou des bas-fonds marécageux qui servent de pâturages pendant l’été et disparaissent en hiver sous les amas des eaux pluviales. Ces dunes, larges de 4 à 6 kilomètres, se déplacent sous l’action des vents, et pourraient submerger des villages entiers, comme elles l’ont fait au dernier siècle en Angleterre, dans les comtés de Norfolk et de Suffolk, si l’industrie des riverains n’en arrêtait pas la marche envahissante par des plantations de hoyas, d’euphorbes, de saules nains, de genêts, de joncs marins, de pins maritimes et d’arbousiers. Ces essences réussissent très bien, et l’on peut juger de la plus-value qu’elles ont donnée à ces terrains, si longtemps improductifs, par ce seul fait qu’en 1820 deux mille hectares ne trouvaient point d’acheteurs au prix de 12,000 francs et qu’aujourd’hui les propriétaires en refusent 300,000.

Malgré leur tristesse, les dunes sont d’une grande et sévère beauté. Rien n’y rappelle la présence de l’homme ; c’est le désert à quarante lieues de Paris, mais le désert avec l’éternel murmure de la mer et les aspects changeans d’un climat où les variations atmosphériques sont continuelles. Lorsque le temps est calme et le so-

  1. Les galets du Hourdel fournissent d’excellens élémens pour la fabrication de la porcelaine. Les fabriques anglaises, allemandes et bohèmes en enlèvent des quantités considérables. Les industriels français sont les seuls qui n’en usent pas.
  2. Voyez la Revue du 15 juin 1848.