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tion de rivaliser avec les sculpteurs de la plume, qui taillent la langue comme le marbre. De même que M. Zola a manifesté par ses excès l’erreur des romanciers physiologiques, M. Feydeau à son tour, par la banalité surprenante de son récit, nous fera toucher au vif le vice de ce nouveau système. M. Feydeau commence son livre par une galerie de portraits de femmes. Que dites-vous de l’étonnante fermeté de ces contours : « de belles joues qui semblaient appeler les baisers ? » N’est-ce pas là un visage singulier et que vous reconnaîtriez entre tous ? — Et cette phrase : « les genoux, lesquels, ronds et bien tournés, se reliaient délicatement avec les jambes aux mollets, légèrement proéminens, » ne vous remet-elle pas en mémoire une description célèbre des mains d’Agnès Sorel par Chapelain, ce fameux coloriste ? Il y a 203 pages de ce style. — La description ennuyeuse, infatigable, vide, y règne d’un bout à l’autre. Une femme sort de sa baignoire, M. Feydeau prend soin de nous dire « qu’elle pose une jambe, puis l’autre, par-dessus le rebord de marbre. » Toutes ces femmes sont coquettes, et il faut les voir se cambrer en arrière pour « montrer les trésors de leur corsage, » ou bien « développer leurs avantages. » M. Feydeau tient au service de leurs mouvemens un vocabulaire varié ; mais tout s’épuise, et il ne recule pas devant les expressions les moins plastiques et les moins françaises. Ce n’était vraiment pas la peine d’accumuler les épithètes et les inversions pour aboutir à des exclamations suprêmes dans le goût de celle-ci : « en un mot, elle avait l’air distingué ! »

La conscience littéraire de M. Feydeau lui aura remontré que les talens divers qu’il affiche dans son récit, talens de peintre, de sculpteur, d’architecte, ne suffisaient pas à remplir un volume, car il y a joint toute sa philosophie. Celle philosophie, c’est le dégoût de toutes choses et le cri que pousse la satiété. Vous croyez peut-être qu’une grande situation de fortune, l’amour d’une femme adorable, le goût des arts, l’intelligence des affaires, la possession de deux enfans charmans, sont des bonheurs qu’il est permis d’apprécier ? Détrompez-vous, M. Feydeau a découvert que les biens du monde passent vite, et laissent d’autant plus de regrets qu’on les a plus savourés. Voyez plutôt le comte d’Abarey, l’enfant gâté de la fortune, auquel cette déesse capricieuse a départi tous les biens. Une mauvaise spéculation le ruine, sa femme l’abandonne, un rhumatisme articulaire le vieillit avant l’âge, et, comme au lion devenu vieux de La Fontaine, aucune injure ne lui est épargnée, pas même le coup de pied de l’âne, donné ici par un certain M. Faivre, ancien camarade de collège, qui s’est attribué toute la fortune de son trop confiant condisciple. Idée neuve et féconde ! Les développemens sont plus curieux encore. M. Feydeau a placé dans la bouche d’un philosophe cynique, nommé Rossignol, une longue suite de paradoxes sur l’insuffisance de la nature ; on se demande quelle idée se forme du public un écrivain qui lui dé-