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tion en voyant passer ce qui fut le régiment des cuirassiers de Reischofen, les bataillons de marine de Bazeilles, et toute cette infanterie qui a retrouvé son aplomb, sa fermeté avec sa discipline. C’était comme une image de la puissance militaire renaissante de la France, comme une révélation fortifiante des progrès accomplis depuis la première revue qu’on passait après la commune. Le président de l’assemblée, M. Buffet, a parlé le lendemain avec une juste fierté, en quelques mots ingénieusement éloquens, de ce qu’il appelait « une belle et émouvante séance, » où il n’y avait « pas eu de discussion » parce qu’il « n’y avait qu’un seul parti, » parce que tout le monde éprouvait « le même sentiment de sympathie et de confiance. » M. Buffet n’a oublié qu’une chose, c’est que cette armée ne s’était point sans doute faite toute seule, qu’elle n’était pas probablement sortie de terre depuis six semaines, qu’elle était en un mot l’œuvre d’une sollicitude passionnée et patriotique qui n’a cessé de veiller sur elle depuis deux ans. C’était pourtant bien simple de dire toute la vérité. Est-ce que cela pouvait diminuer ou offusquer personne ? Les partis sont vraiment étranges avec leur petite diplomatie et leurs réticences. Ils croient toujours qu’ils vont se compromettre, s’ils ont un peu de justice, ou, à défaut de justice, un peu d’esprit et d’élévation. Ils se figurent qu’en supprimant le nom d’un homme qui a rendu des services avant eux ils le font oublier ; ils le rappellent immédiatement au contraire par cette affectation de silence que le sentiment public ne manque pas de saisir, et qu’un zèle assez maladroit n’avait pas même besoin d’aller relever officiellement, — comme si on réclamait pour un homme illustre la reconnaissance nationale par voie de rectification au procès-verbal d’une séance parlementaire ! Franchement tout cela est assez mesquin. Quel intérêt peut-il y avoir pour le pays et même pour le gouvernement nouveau dans ces petites guerres qui ne servent à rien et ne grandissent qui que ce soit ? Est-ce qu’on peut supprimer ce qui est déjà de l’histoire ? est-ce qu’on peut empêcher que M. Thiers ne soit pour quelque chose dans la réorganisation de cette armée qu’on voyait l’autre jour avec orgueil, dans cette libération du territoire français qui s’accomplit en ce moment, dans cette situation plus qu’à demi pacifiée dont on a recueilli l’héritage ?

Le gouvernement du 25 mai a un moyen tout simple, non pas de faire oublier M. Thiers, ce qui ne serait qu’une assez puérile préoccupation, mais de montrer qu’il peut à son tour rendre des services : ce moyen, c’est d’aborder nettement les questions qui intéressent le pays, de savoir ce qu’il veut et ce qu’il peut, de faire de la politique autrement qu’avec des mots ou même des demi-mots, autrement qu’avec des réticences et des expédiens. Il faut voir les choses telles qu’elles sont. Le gouvernement nouveau est arrivé au pouvoir dans des conditions où il a trouvé presque instantanément une force réelle dans le nom respecté