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teur de la fatalité, comme à un personnage de la tragédie antique, les dieux envoyaient de temps en temps des passions fatales pour se jouer de cette ambitieuse prudence. La liste est longue de ses amours, que M. Mézières a contées avec une grâce discrète. De ces nombreuses passions, il en est où Goethe sut se vaincre, d’autres auxquelles il se livra; il en est où il s’esquiva un peu tard et fit retraite avec plus d’empire sur soi que de délicatesse, d’autres enfin qui ne furent pas sans quelque vulgarité, ainsi que le prouve son peu noble et tardif mariage. Après des années de calme, tout à coup éclatait un orage, un coup de foudre dans un ciel serein. On voit avec quelque pitié que, sexagénaire et même à soixante-quatorze ans, Goethe s’éprend d’honnêtes jeunes filles avec plus de douleur que d’espoir, — déplaisantes amours où le vieillard finit pourtant par retrouver sa dignité en recourant à son ordinaire remède, qui consistait à peindre l’objet aimé dans une œuvre poétique finement taillée et amoureusement repolie. Dès lors le vieux Pygmalion n’adorait plus que l’ouvrage de ses mains.

M. Mézières suit Goethe non-seulement dans sa vie, mais dans ses études, dans ses œuvres, son art, ses doctrines et dans le secret de ses pensées, aussi bien que dans le détail de son intérieur domestique, et partout il le juge avec le respect qu’on doit au génie et même avec une bienveillance qui est bien due par un Français à ce noble ami de la France, — car, sans parler des admirations de Goethe pour Napoléon et pour nos grands écrivains, pour Molière, Corneille, Voltaire et d’autres, qu’il regardait comme ses maîtres, il disait à Eckermann : « Entre nous, je ne haïssais pas les Français, quoique je remercie Dieu de nous avoir délivrés d’eux... Comment aurais-je pu haïr une nation à qui je dois une si grande part de mon développement? » Dans son extrême vieillesse, ses regards étaient encore tournés du côté de la France, et saluaient les jeunes talens de notre nouvelle école littéraire. Il ne laissa échapper ni un cri de haine même après Iéna, ni une parole de lâche mépris après Waterloo. Qui sait si ce n’est pas à l’école de nos grands philosophes du XVIIIe siècle qu’il a puisé cette haute et humaine sympathie que ses compatriotes lui ont si durement reprochée? Aussi M. Mézières a-t-il pu, sans éveiller en nous un scrupule patriotique, faire les honneurs en France au grand poète allemand et le traiter avec une hospitalière justice qui risque fort de n’être pas payée de retour, mais qui est un des charmes de son livre.


C. MARTHA.


Extraits des comptes et mémoriaux du roi René, publiés par M. A. Lacoy de La Marche. Paris 1873.


C’est une opinion généralement répandue et très accréditée, comme la plupart des opinions fausses, que la noblesse du moyen âge était très ignorante. Un de nos érudits les plus autorisés, M. Léopold Delisle, con-