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III. — CAYEUX. — SAINT-VALERY. — LE CHATEAU DE RAMBURES.

Pour peu que l’on se soit occupé de la géographie de la France, on a lu dans les ouvrages les plus sérieux mêmes que l’arrondissement d’Abbeville correspond à l’ancien comté de Ponthieu ; il n’en est rien. Toute la partie de cet arrondissement située sur la rive gauche de la Somme formait une circonscription territoriale complètement distincte de ce comté ; c’était dans la Gaule franque le pagus Vinemacensis. Ce fut plus tard une grande terre fieffée qui tenait dans sa mouvance un certain nombre de villages et une grande quantité de terres aux champs. Aujourd’hui c’est une région très laborieuse et très productive, qui fabrique des toiles et des serrures, se livre à la pêche, cultive un sol d’une remarquable fécondité, élève des chevaux que des agens anglais et des juifs viennent acheter pour le compte de l’intendance prussienne, en choisissant de préférence les pouliches, pour nous mettre hors d’état dans un avenir prochain de remonter notre artillerie avec des chevaux de trait légers. Elle forme un large plateau borné au sud par la vallée de la Bresle, au nord par la vallée de la Somme, à l’ouest par l’Océan. Chaque maison dans les villages a son enclos entouré d’arbres de haute futaie qui l’abritent contre les vents de mer, et ces villages seraient pris pour des bois, si des clochers pointus n’indiquaient de loin qu’il y a là un curé, un maire, un instituteur et des pompiers, c’est-à-dire tout ce qui représente la civilisation dans les campagnes.

Entre les falaises et le banc de galets dont nous avons parlé s’étend parallèlement à la mer le bourg de Cayeux, une des localités les plus pittoresques de la Basse-Picardie. Ce bourg, irrégulièrement bâti dans une plaine de sable, est en même temps un important atelier de serrurerie et un port de pêche. On y compte dix-sept bateaux côtiers de 40 à 50 tonneaux, et soixante petits canots montés par d’intrépides marins qui laissent tous les ans quelques-uns des leurs à la mer. Dans la seule nuit du 9 au 10 mars 1852, cinq de ces bateaux et les 42 hommes qui formaient leurs équipages ont été engloutis par un ouragan furieux, et c’est le souvenir des désastres dont cette bourgade a été si souvent frappée qui a inspiré à M. Victor Hugo l’une de ses plus belles pièces, lorsqu’il bornait son ambition à n’être qu’un grand poète :

O flots ! que vous savez de lugubres histoires !

Perdu dans les sables et les galets, Cayeux est resté étranger