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servateur des manuscrits à la Bibliothèque nationale, a réfuté victorieusement, il y a quelques années déjà, ce préjugé, dont on s’est fait souvent une arme contre la vieille aristocratie française, et il a prouvé d’une manière irréfutable qu’au XIIe, au XIIIe, au XIVe siècle., les barons féodaux n’étaient nullement en arrière sous le rapport de l’instruction. Les enfans des grandes maisons avaient ordinairement trois professeurs, l’un pour les initier aux choses de la religion, l’autre pour leur enseigner la grammaire, le troisième pour leur apprendre comment il faut se conduire avec les grands et les petits. Dans le midi, la noblesse s’associa d’une manière brillante au mouvement de la littérature provençale, et lui donna même quelques-uns de ses plus célèbres représentans, tels que Bertrand de Born, Guillaume d’Aquitaine, Bernard de Ventadour. À la même époque, dans le centre et le nord, les nobles s’occupaient avec succès de la science du droit : un grand nombre d’entre eux s’intitulent chevaliers et licenciés ès-lois, et en 1337 on comptait encore à l’université d’Orléans les héritiers des plus grandes familles. Nos premiers et nos plus anciens mémoires historiques en langue vulgaire ont été écrits par des nobles, Villehardouin et Joinville., et c’est pour des nobles qu’ont été composées nos plus anciennes épopées chevaleresques. On ne peut donc sans injustice leur refuser le goût des lettres, même aux époques les plus troublées du moyen âge, et on ne peut pas non plus leur refuser le goût des arts.

René, duc d’Anjou et roi de Sicile, né en 1409, mort en 1480, se place au premier rang des personnages issus de la grande féodalité française qui se sont distingués par leur culture littéraire. On lui doit une sorte de roman allégorique en vers et en prose, le Roman de très douce Mercy au cœur d’amour épris. Le manuscrit de ce roman est orné de nombreuses miniatures, et l’on pense qu’elles ont été exécutées par René lui-même, car il était peintre en même temps que poète. MM. de Quatrebarbe et Villeneuve Bargemont lui ont consacré des publications fort intéressantes, et le livre de M. Lacoy de La Marche vient compléter aujourd’hui par des textes contemporains l’histoire de ce prince, qui est intimement liée à l’histoire de l’art français au XVe siècle. Les originaux de ces textes sont conservés aux archives nationales, et le volume qui les reproduit apporte de nouveaux et précieux élémens à la curiosité des archéologues. Ils comprennent les comptes des dépenses faites pour des constructions ou des réparations d’édifices, des travaux d’utilité publique, des achats d’objets d’art, de meubles, de bijoux, d’animaux des pays d’outre-mer, des cérémonies publiques, des représentations de mystères. Il y a beaucoup à apprendre dans le volume de M. Lacoy de La Marche, surtout pour l’histoire de la peinture et de l’architecture, on y trouve même des renseignemens fort curieux sur un fait qui préoccupe encore aujourd’hui très vivement les riverains de la Loire ; nous voulons parler des levées ou turcies destinées à conte-