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compliquée ; mais à sa racine, à son point de départ comme au terme où elle est parvenue, au fond le seul élément psychique que l’on puisse y découvrir, c’est celui qui fait que nous reconnaissons intuitivement la ressemblance ou la différence de deux objets, l’égalité mathématique de deux êtres. C’est parce que le barbare perçoit intuitivement cette identité qu’il exige une compensation par l’argent ou le sang pour chaque dommage causé. C’est pour la même raison que le civilisé, concevant une notion supérieure du droit, mais toujours guidé par le même principe, donne au dédommagement la forme du châtiment et crée la pénalité sociale. Telle est l’origine et telle est l’essence de la justice ; elle n’en a pas d’autre : toutes les explications ou définitions transcendantes de cette idée ne sont qu’une pure mythologie. « L’idée d’égalité de deux termes amène l’idée de dédommagement ; l’idée de droit au dédommagement amène l’idée du droit de punir, conféré à la société, soit que l’on considère qu’elle le tient du consentement des membres qui la composent, soit que l’on fasse intervenir un principe d’utilité pour cette fonction, vu que la société a plus de lumières, de régularité, de modération, que les individus n’en auraient dans leurs causes particulières. La société, ainsi substituée au lieu et place de la partie lésée, arbitre la peine, qui perd le caractère de dédommagement et prend celui de châtiment. Dans cet arbitrage de la peine, la société elle-même n’a été ni toujours sage, ni toujours juste, et à chaque degré de civilisation il importe d’examiner ce qui convient aux conditions de la masse criminelle et aux lumières de la puissance publique ; mais en définitive le droit de punir provient originellement du dommage à réparer, la justice voulant que tout dommage soit réparé, même quand il a été causé involontairement et sans aucune criminalité. »

N’y a-t-il vraiment que cela dans l’idée de justice comme dans l’idée de pénalité ? Tout se réduit-il en effet à des termes si simples dans les conceptions les plus nobles et les plus hautes auxquelles s’est élevée la conscience humaine ? Il ne s’agit pas de réclamer ici contre l’humilité des origines que leur assigne M. Littré. L’homme ne serait pas humilié, si, trouvant à son origine et comme dans le berceau de sa race un instinct purement animal de représailles, il l’a ainsi élaboré et transformé par le sentiment d’un idéal supérieur, et s’il a su tirer, par une sorte de force créatrice, d’une matière vile un trésor sans prix. Cette transformation serait, à vrai dire, un prodige, quelque chose d’inexplicable, c’est-à-dire un mystère ; mais enfin cette sorte de miracle psychologique serait tout à la gloire de l’homme, et l’on n’a pas à rougir des plus humbles commencemens quand on se fait à soi-même de si belles destinées. Le principe de l’évolution, dont on a tant abusé dans les nouvelles