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peu à peu à une doctrine supérieure, et forcer la nécessité elle-même à se convertir en liberté. Au moyen d’une série de concessions réciproques et nécessaires, exigées et obtenues des deux côtés, l’auteur s’efforce d’amener les deux doctrines ennemies à une conciliation, mais, qu’on le remarque bien, à une conciliation au profit de la liberté. Ceci est essentiel. Sa méthode est celle des moyens termes qu’il s’agit d’intercaler entre ces deux tendances de l’esprit, qui, selon lui, ne divergent pas à l’infini. Cette tentative poussée jusqu’au bout avec un grand courage dialectique, présentée avec un art subtil et pénétrant, varié, inépuisable dans ses ressources, a été accueillie d’abord à la Faculté des lettres de Paris, devant laquelle elle se produisait sous forme de thèse, puis dans le monde philosophique, avec la plus vive et la plus sympathique curiosité. Et quelles que soient les destinées de cette méthode, qui a paru à d’excellens juges n’être pas exempte d’artifice, quels que soient surtout à cet égard les malentendus de l’opinion du dehors agitée par la question même, incompétente et mal informée sur le fond du débat, le nom du jeune philosophe est sorti de cette tentative agrandi et honoré.

Le reproche le plus grave qu’on pourrait lui adresser, c’est qu’il est arrivé à M. Fouillée ce qui arrive souvent aux conciliateurs. Sûr de sa conscience et de la beauté du but qu’il poursuivait, il a semblé faire trop de concessions au déterminisme. Il a traité avec lui sur un pied d’égalité, de puissance à puissance, comme si cette direction de l’esprit était, dans le monde moral, aussi légitime que la direction contraire. Je sais bien que ce n’est là qu’un point de vue apparent et provisoire qui disparaît dans les conclusions du livre ; mais beaucoup de lecteurs ont pu s’y laisser prendre et rester sous le coup de ces premières impressions, qui affaiblissent la force de la démonstration, diminuent la portée des conclusions et laissent certainement quelque trouble dans la pensée. Il serait néanmoins fort injuste de s’arrêter à ces impressions, quand le sens de la démonstration générale et l’esprit du livre ne peuvent être douteux pour un homme de bonne foi. L’idée même de la liberté retournée contre le déterminisme, l’acte moral donné comme la vraie preuve de la liberté, le sacrifice et le don de soi en étant la perfection, il y a là une doctrine incontestable du plus haut spiritualisme dans le sens supérieur, du mot. Nous ne prendrons dans ce vaste ensemble de discussions avec le déterminisme que celles qui se réfèrent à la question que nous examinons en ce moment, et encore une seule partie, celle qui touche à la pénalité sociale. Ce sera pour nous une occasion naturelle de donner une idée de la méthode et des procédés de l’auteur, sur, un point spécial et dans un cadre limité.