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délicatesses de cet épisode, je ne sais trop ce que je vais voir en Bourbonnais, et quelles surprises me réserve cette province ; mais combien ne donnerais-je pas de ruines, de débris, voire de monumens intacts, pour reconnaître les paysages où se sont passées les diverses scènes de cette aventure, le talus gazonné sur lequel Maria était assise à la première rencontre, l’endroit de la route poudreuse d’où Sterne s’élança de sa voiture aux accens du chalumeau de la jeune fille, l’arbre qui servit d’abri à la seconde rencontre, le ruisseau dans lequel Maria, voulut tremper avant de le lui rendre le mouchoir dont il s’était servi pour essuyer ses larmes et celles qu’il avait versées lui-même ! Il y a par là dans ces environs de Moulins, un tout petit coin de terre où a été rendu le plus sérieux et le plus vrai jugement qui ait été porté sur Sterne, et cela par la pantomime d’une pauvre insensée ! « Je m’assis sur le banc de gazon aux côtés de Maria ; elle me regarda, puis regarda sa chèvre ; puis me regarda encore, et puis encore sa chèvre, et ainsi de suite alternativement. — Bon, Maria, lui dis-je doucement, quelle ressemblance trouvez-vous entre nous deux ? » Quelle ressemblance ? il y en avait plus d’une vraiment : caprice, sensualité, agilité, pétulance, esprit de gambades, éclairs de folie, amour enragé des sentiers étroits et des routes perdues, passion perverse pour les escarpemens, sûreté de marche sur les pentes dangereuses, tranquillité à la pointe des abîmes, tous ces caractères, Sterne les avait en commun avec la chèvre de Maria. L’innocente avait reconnu d’instinct l’âme la plus légère et la plus fragile que le génie se soit jamais choisie pour habitation. Certes il serait intéressant de pouvoir déterminer avec exactitude l’endroit même où ce remarquable jugement muet a été rendu ; mais, comme cette découverte est impossible, qu’il suffise à notre amour-propre patriotique de savoir que c’est ici qu’il a été rendu, et que le juge fut une petite paysanne folle du Bourbonnais.

Les touristes négligent d’ordinaire Moulins, peut-être un peu sur la foi de leurs guides ; c’est en vain que j’ai cherché la raison de cette indifférence ou de cette défaveur. Quoique cette ville soit relativement fort moderne, elle contient plus de souvenirs intéressans que n’en contiennent la plupart des villes françaises de pareille importance, même lorsqu’elles peuvent se vanter d’une origine plus ancienne. La physionomie en est originale sans ambition, la parure en est élégante sans prétention d’aucune sorte à la coquetterie ou à la mode, et j’en ai trouvé le séjour agréable et délassant. La physionomie de cette ville est, dis-je, originale ; en effet, cherchant à la faire comprendre avec exactitude, je ne trouve d’autre analogie que l’image d’une cascade qui tombe en une seule chute, et réunit ses eaux dans un même bassin. Le plateau qui mène du chemin de