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figure qui semble comme consumée par le feu intérieur d’une âme incendiée d’ambition, la plus sinistrement belle, à mon avis, du XVIe siècle après celle de César Borgia, et la plus complète expression que le connaisse de l’énergie aventureuse. Bien différente de cette beauté tout italienne des Montpensier est celle des princes de la branche de Vendôme. Peu de lecteurs peut-être connaissent, la figure morose d’Antoine de Bourbon, belle en dépit de sa taciturnité, mais la plus parfaite antithèse que l’on puisse imaginer pour la figure de son fils, le roi Henri IV ; en revanche l’originalité unique de cette dernière est trop présente à toutes les mémoires pour que nous ayons besoin de la décrire une fois de plus. Tous deux appartinrent au protestantisme pendant une partie de leur vie ; mais si l’on cherche sur leurs visages le reflet de leurs croyances, leurs portraits répondent qu’il n’y eut qu’un puritain, et que ce fut l’époux de Jeanne d’Albret.

Parmi ces verrières, il en est une qui n’a jamais été remarquée ni décrite, et dont la singularité est cependant bien faite pour arrêter l’attention de l’observateur. Divisée en trois parties, elle ne représente rien d’autre que les scènes si familières à toutes les imaginations chrétiennes de la flagellation, du crucifiement et de la résurrection, mais elle les représente en les multipliant comme un cristal à facettes qui reproduit vingt images du même objet. Il n’y a pas une seule flagellation, il y en a trente ; il n’y a pas un seul crucifiement, il y en a dix ; les résurrections sont un peu moins nombreuses, parce que la représentation de cette scène demande plus d’espace que celle des autres, toutefois il y en a bien cinq ou six. Ce qui augmente encore l’obscurité de cette énigme, c’est qu’aucun de ces flagellés liés à la colonne et de ces suppliciés mis en croix n’offre les traits traditionnels du Christ. La singularité est telle qu’ayant d’abord arrêté nos yeux sur la première verrière seulement, nous avons cru à quelque histoire légendaire d’une légion thébéenne quelconque qui nous était inconnue, et qu’il a fallu pour nous détromper le voisinage des deux autres scènes, qui ne permettent aucun doute. Ce sont donc bien les dernières scènes de la vie de Jésus que l’artiste a voulu nous représenter ; mais comment expliquer cette étrange fantaisie ? Vainement j’ai cherché et demandé une explication ; ce détail ne semble encore avoir frappé personne, ce qui prouve avec quelle facilité les choses souvent les plus hétérodoxes peuvent se glisser dans les doctrines et les institutions les mieux surveillées. Vous connaissez peut-être l’histoire de cette chape en étoffe d’Orient que l’on peut voir au musée de Cluny. Elle est brodée de caractères arabes ou persans auxquels on n’avait jamais prêté la moindre attention et que l’on considérait comme de fantasques ornemens ; enfin un jour un savant