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une espèce de chanson de geste[1] qui est comme le prélude de la Chanson de Roland. Dieu y parle à Louis III, comme dans la Bible il parle à Moïse : « Louis, mon roi, lui dit-il, porte secours à mon peuple que les Normands ont si durement opprimé. » Et Louis répond : «Mon Dieu, j’obéirai à tes ordres, et, à moins que je ne périsse, ta volonté sera faite. » Les Francs tombés dans la bataille furent inhumés sur un coteau voisin du village de Miannay, et de ce coteau, où dorment depuis mille ans les antrustions et les leudes du royaume de Neustrie, on découvre un autre champ de carnage, le plateau de Mons, où Xaintrailles et les défenseurs de la cause nationale furent battus par le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, le 29 août 1421.

Le Vimeux est au reste de la Picardie ce que la Béotie était à la Grèce. C’est le pays des vieilles traditions, des vieux usages et des toits de chaume. Les habitans sont très laborieux; cependant ils sont loin de faire rendre au sol fertile qu’ils cultivent tout ce qu’il pourrait donner, et ce n’est point par esprit de routine, comme on pourrait le croire à première vue, mais avant tout par une fausse direction économique. Au lieu d’employer leurs épargnes à l’amélioration de leur culture et de leur matériel d’exploitation, ils l’emploient à acheter de petits coins de terre qu’ils se disputent à prix d’or; sauf le Marquenterre, le même fait se reproduit dans la plupart des communes rurales de la Picardie, et c’est là dans la province l’une des causes qui s’opposent le plus directement au progrès, et que méconnaissent trop souvent les spécialistes qui dissertent théoriquement et a priori sur les questions agronomiques. Du reste, quand on compare ce qui se fait et s’écrit à ce qui devrait se faire, on est étonné de voir avec quelle légèreté sont traitées chez nous les questions les plus importantes. Ainsi on parle beaucoup de l’instruction agricole, et l’on croit avoir résolu le problème en faisant cultiver à la bêche par les élèves des écoles quelques coins de jardin, en leur faisant planter en ligne quelques grains de blé, et l’une des premières choses qu’il faudrait introduire dans les campagnes, la comptabilité rurale, est précisément celle que l’on n’y enseigne pas. Dans le Vimeux, comme dans les autres cantons du département, les cultivateurs ne tiennent aucun livre de culture; ils se trouvent souvent en perte sur certains produits là où ils se croient en bénéfice. L’un des plus grands services que l’on pourrait rendre aux jeunes générations, ce serait de leur apprendre à ouvrir pour chaque pièce de terre un compte exact du doit et avoir, intérêt du capital

  1. Cette chanson a été retrouvée par Mabillon, qui en a publié le texte avec une traduction latine. Voyez Recueil des historiens de France, t. IX, p. 99.